Avec "Speakerine", France 2 nous offre une série d'époque comme on en voit rarement à la télévision française, surtout pour cette période pré-Mai 68.
J'ai été en premier lieu très convaincu par la qualité de la reconstitution historique (musiques, décors, costumes, coiffures, voitures, la cigarette (même si ça fume moins que dans Mad Men)) malgré un budget limité pour les plans extérieurs, par l'ambiance générale (le générique très OSS 117 donne le ton), et par l'aspect historique affirmé, que ce soit la Guerre d'Algérie
(à travers le fils de Christine, Jean-Claude, opposé à son père, recruté par l'OAS (avec un kidnapping test à la clé), informateur sur l'attentat raté contre De Gaulle, poseur de bombe dans le restaurant, menacé de mort et obligé de s'engager dans la Légion)
, le monde de la télé
(la première émission Intervilles)
, l'arrivée de la Mondovision avec les américains, la haine des communistes
(incarnée par Pierre)
, la puissance de la religion
(Pierre et le couvent ou le "non" à l'avortement)
, la cruauté de la politique
(la mutation aux Outre-mer)
ou bien encore les conflits d'intérêts entre journaliste, politique et flic
(le chef de la police qui bâcle l'enquête pour satisfaire le ministre; le journaliste et sa source chez les flics, Pierre et Darnet qui suivent les désirs du ministre de l'information).
Néanmoins, la thématique centrale de la série reste la dénonciation du machisme ambiant et par écho l'émancipation des femmes à cette période
(Michèle est lesbienne par exemple)
. Christine symbolise ce changement sociétal majeur
(elle boit seule dans un bar, elle remet en cause son mariage, fait du chantage à Darnet, diffuse des messages militants à la télé, propose une émission féministe, envisage l'avortement pour sa fille et dénonce son rôle tout attribué de femme ne devant s'occuper que des courses, des enfants et de la cuisine au détriment de sa carrière et de sa vie privée)
quand la série se montre acerbe avec l'attitude des hommes à l'égard des femmes
(le journaliste macho; le flic condescendant par rapport à Christine; Darnet qui remplace, piège et vire Christine comme bon lui chante; Pierre qui tue le projet de carrière de sa femme au profit de sa promotion et de sa réussite; Pierre qui reproche à cette dernière sa manière d'éduquer les enfants; la phrase horripilante "tu dois contrôler ta femme"; Darnet qui mate les fesses des jeunes femmes et ressemble un peu à DSK; la promotion canapé comme seul espoir de succès pour les femmes; Pierre qui traite sa femme comme si c'était une fille légère; la réplique "tu es une speakerine, tu joues le rôle du pot de fleur"; la réflexion sur les filles des îles qui sont chaudes).
Pour renforcer son propos, la série utilise assez bien Philippe Lefebvre, incarnant l'homme moderne à l'écoute des femmes
(et de Christine dont il est fou amoureux)
et un allié professionnel de qualité. Je regrette juste la fin un peu facile et paresseuse donnée à cette relation Christine-Philippe,
(la première émission Intervilles)
0
Au milieu de cela, "Speakerine" introduit une enquête dense
(la première émission Intervilles)
1
aux ramifications importantes. On peut dire que ce choix scénaristique alourdit parfois l'ensemble et éparpille le déroulé, mais elle permet aussi de traiter de nombreux sujets forts
(la première émission Intervilles)
2
, sans compter que la série maîtrise son côté thriller, avec des twists solides à chaque fin d'épisode
(la première émission Intervilles)
3
, de bons éléments d'investigation
(la première émission Intervilles)
4
et une méchante parfaite
(la première émission Intervilles)
5
Mon gros bémol là-dedans serait
(la première émission Intervilles)
6
, pas indispensable et plutôt lourde à la longue, pour un intérêt limité et tiré par les cheveux sur la suite.
Niveau casting, aucune fausse note, Marie Gillain porte la série avec une aisance et un charme indéniables, Guillaume de Tonquédec est parfait en macho, Jean-Yves Chatelais joue à merveille le rôle du salaud (sa ressemblance physique avec DSK est troublante) et Barbara Probst est une sacrée découverte.
Enfin, Laurent Tuel délivre une réalisation léchée et dynamique, pour une série réussie.