Qu'en matière de séries, un scénariste puise dans ces genres très courus que sont les uchronies et les dystopies pour déployer sa version catastrophe de notre quotidien n’a rien de bien surprenant : des récits d’apocalypse zombie aux fables écologiques, dystopie, uchronie et science-fiction ont largement investi le terrain des séries télévisées, du cinéma ou encore des jeux vidéo. Mais au-delà de sa fonction cathartique et de sa capacité à distraire son public avec plus ou moins de bonheur, ce genre de série se double également d’une visée idéologique patente, qu’elle soit assumée ou non par son auteur. Apparentée au genre de la science-fiction, *Colony* nous donne à voir le devenir de l’humanité après qu’elle a été envahie par une race extra-terrestre dont la technologie est manifestement à même de nous renvoyer à l’âge de pierre à défaut de nous avoir exterminé au préalable. Loin de dresser un faisceau de conjectures objectives sur le monde à venir, la série convoque notre quotidien en filigrane et délivre (consciemment ou non) au spectateur un message sur la société actuelle. Dès lors, il convient de s’interroger sur la nature de ce message mais aussi sur la façon dont il nous est présenté. En quoi le statut de la science-fiction dans cette série pose problème vis-à-vis du message transmis ? En quoi finit-il par nuire à toute la série et au message qu’elle transmet ?
Après un pilote et un deuxième épisode somme toute assez longuets et peu accrocheurs, la progression narrative, généreusement parsemée de gunfights, d'explosions et autres démonstrations de virilité semble tenir bien plus de la série policière que de science-fiction. On a même droit à l'archétype du coéquipier bedonnant et bonne pâte incarné en la personne de Beau. Mais soit, il s'agit d'un TV show à l'américaine, c'est la machine hollywoodienne qui veut ça, et après tout le jeu d'acteur et la réalisation sont maîtrisés.
Le problème, le voilà : où sont les extra-terrestres ? En dehors des *raptors* lardant tout ce qui passe à portée de viseur, la *Factory* et le mystérieux VIP pris en otage par la résistance dans les deux derniers épisodes, les extra-terrestres n'ont presque aucune consistance, ils pèsent comme une menace invisible, muette… et c’est tout. Ils ne semblent avoir aucune personnalité, aucune véritable motivation, aucune parole. Le scénariste aurait pu aussi bien les remplacer par une sorte de successeur spirituel et tout puissant d'Hitler que cela n'aurait strictement rien changé à la trame narrative ; il apparaît clairement que la science-fiction a été utilisée comme un prétexte pour déployer une dystopie où l'idée de départ aurait été de se demander : « tiens, et comment qu’ça s’rait si on imaginait une situation où la société actuelle était confrontée à une sorte d'Hitler tout puissant ? » et le scénariste de répondre : « j'ai besoin d'une situation désespérée, des aliens armés jusqu’aux dents seront parfaits pour remplir la fonction de bourreau de l’humanité. » Car ces derniers n'ont finalement rien d'extra-terrestre, ni même d’humains : ils sont réduits à une simple force coercitive, une menace désincarnée pour légitimer la situation dans laquelle se trouvent les personnages. Le motif de l’invasion n’est qu’un expédient, ce qui est dommage car tout le reste de la série apparaît dès lors comme artificiel et s’effondre ainsi qu'une rangée de dominos.
Bien sûr, pour justifier la venue des envahisseurs, Carlton Cuse et Ryan J. Condal se sont efforcés de disséminer quelques informations sur les intentions des aliens. Malheureusement, le tout forme un faisceau disparate d'indices divergents et finalement inaptes à justifier de façon recevable la présence des aliens sur Terre. Voyez par vous-même : dès le pilote nous apprenons que les envahisseurs disposent d'une force de frappe largement suffisante pour anéantir l'humanité ; force qu’ils emploient le jour de leur arrivée non pas pour détruire la race humaine ou prendre directement ce qui les intéresse chez elle (main d’œuvre ? esclaves ?) mais pour purifier la race (malfaiteurs, psychopathes, et alli) et anéantir toute force de contestation en massacrant au passage des innocents… on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. Mais n’est-ce pas un peu curieux, des aliens cherchant à rendre service à l’humanité en la débarrassant de tous les méchants psychopathes qui la gangrènent ? On se rend rapidement compte que les aliens servent de prétexte pour justifier l’instauration d’un schéma proche de celui de l’occupation nazi. Le problème, c’est que des E.T., ce ne sont pas des nazi… on en arrive à une situation curieuse, où des extra-terrestres semblent mépriser l’humanité à qui elle n’a visiblement aucun compte à rendre, mais pas trop quand même, puisqu’en même temps ils ont à cœur de concevoir un « protocole » destiné à instaurer dans les blocs un régime qui s’apparente à peu ou prou à la collaboration. Tout comme sous Vichy, pas de place pour les individus faibles, rétifs ou inadaptés… raison pour laquelle on laisse mourir les diabétiques, par exemple. Mais voilà qu’en plus de cela on apprend de la bouche de Phyllis que les aliens ont depuis longtemps espionné les humains et amassé une somme considérable de données sur chaque individu. À ce moment de l’histoire, le spectateur semble être en droit de se demander deux choses : d’une, si la race humaine représente si peu aux yeux des envahisseurs (au point de ne même pas daigner se présenter directement à eux ni même échanger), pourquoi s’évertuer à la purifier et la gouverner ? Dans quel intérêt ? Pourquoi un peuple extra-terrestre aiderait-il l'humanité à régler ses propres problèmes ? De deux, puisqu’on parle d’un peuple qui dispose largement des moyens pour résoudre n'importe quel conflits par la force, pourquoi diable ficher et espionner dans le détail chaque être humain ? Que craignent-ils ? En quoi savoir le parfum de glace préféré de Pierre serait-il utile aux envahisseurs, attendu qu’ils peuvent régler la moindre menace le concernant en envoyant tout simplement un *raptor* ou les *redhats* à ses trousses ? Si vraiment ils n’ont rien à craindre, pourquoi s'embarrassent-ils de procédures inutiles ? S'ils les craignent, c'est peut-être qu'ils ont finalement besoin de l'humanité à l'instar des Taelon dans *Earth Final Conflict* (première saison je précise)? Mais alors, pourquoi la réduire à l'état d'esclavage et en faire si peu cas ? Pourquoi ne pas se montrer à eux si leurs intentions sont autres que leur extermination pure et simple ? Inversement, s'ils se croient tout puissants, pourquoi faire escorter l’un des leurs le plus discrètement possible en utilisant les voies de métro ? Auraient-ils finalement peur d'un soulèvement, d'un attentat ? Les aliens étant muets comme des tombes, aucune explication ne pourra résoudre ces contradictions. En définitive, le pourquoi de la venue des aliens ne semble pas avoir beaucoup piqué la curiosité des scénaristes, qui ont disséminé des indices qui ne font malheureusement pas sens lorsqu'on tente de les réunir.
En dernier ressort et pour sauver ce qu'il restait des extra-terrestres, j'ai été tenté d'avancer une ultime hypothèse pour résoudre ces contradictions : non contents d’avoir fiché l’humanité tout entière dans leur base de données *au cas où*, les aliens chercheraient-ils finalement à observer, motivés par la curiosité – à l’instar des spectateurs – l’ensemble des comportements des masses humaines à l’œuvre dans une situation désespérée ? L’humanité serait-elle simplement le sujet d’une expérience avec la Terre pour laboratoire ?
Malheureusement, cette hypothèse pour le moins tirée par les cheveux ne tient pas la route non plus car elle ne cadre pas vraiment avec d’autres indices qui nous montrent que les aliens ont au moins une motivation bien plus pragmatique que la curiosité scientifique : le besoin d’une main d’œuvre des humains, d’où l’implantation de la Factory sur la lune aux allures à peine déguisées de camps de concentration. Puis la raison de la venue des aliens occupe tellement peu les dialogues des personnages, qui en savent eux-mêmes si peu sur leurs "hôtes" (il est intéressant d'ailleurs de noter l'inversion du rapport de force chez les collabos, pour qui les aliens deviennent les hôtes et les humains les invités) sont de toute façon trop occupés à se colleter avec leurs congénères pour s'intéresser aux aliens en tant que tels.
En somme, les indices partent dans toutes les directions, chacun tirant à hue-et-à-dia si bien qu’on finit par ne plus vraiment y croire, à cette histoire d’invasion extra-terrestres. Ce qui est patent, c’est surtout l’intention de recréer un contexte proche de l’occupation nazi pour donner à voir au spectateur les réactions humaines qui pourraient s’y produire. Ce n’est donc pas un hasard si les aliens brillent par leur absence au profit de la description de l’organisation sociale dans le bloc : la série se borne finalement à montrer comment se débrouillent les collabos, les résistants, les manipulateurs, les opportunistes, les idéalistes, les redhats, et alli. En ce sens, la série se joue de façon assez malavisée du spectateur en usant des ressorts de la science-fiction comme d’un expédient pour justifier une situation proche de l’occupation nazi. Quant au reste...
Justement, du reste, parlons-en. Je l'avoue, je n'ai pas regardé cette série spontanément : elle m'a été présentée par une personne qui l'avait appréciée et vantée pour sa qualité, son « réalisme » et la « crédibilité » des relations entre les personnages. Après visionnage de la saison, ce « réalisme » et cette « crédibilité » m’ont bien plus semblé s’apparenter à un voile d’objectivité derrière lequel se dissimule, subliminal, un message fortement marqué politiquement et idéologiquement, qu’à une volonté de « décrire » de façon objective comment s’organiserait la société actuelle si elle était confrontée à une menace extra-terrestre. Ce qui amène à un raccourci assez troublant : le réalisme justifierait une vision somme toute pessimiste de l’humanité. Ce serait justement parce que l’auteur ne fait « pas de cadeaux » aux protagonistes qu’il serait jugé « réaliste » et donc crédible.
Or, je ne pense pas que la série soit particulièrement réaliste… pas plus qu’une autre... mais tout simplement qu’elle délivre de manière insidieuse un message pessimiste sur la société, un message prônant l’immobilisme et l’acceptation d’un ordre établi et qui se confond avec ce qu'on appelle « réalisme. »
*Colony* nous propose de suivre, un peu à l'instar de *Walking Dead* (et bien d’autres je suppose), le devenir d’un groupe d’individus plongés dans **un monde sans espoir**. Tout comme le groupe des survivants mené par Rick Grimes est condamné (comme le reste de l’humanité) par une mystérieuse épidémie dont on sait qu’elle décimera à terme toute l’humanité, la famille de William Bowman et les habitants du bloc sont confrontés à une menace extra-terrestre telle que tout effort de rébellion **est nécessairement** voué à l'échec. Dans les deux séries, aucun espoir n’existe, tout effort de lutte ne fait qu’atermoyer la sentence, qui finira de toute façon par tomber comme un couperet. Aucune place n’est laissée pour une amélioration possible de la situation. C’est un présupposé qu’il est nécessaire de garder en tête et que *Colony* tente avec plus ou moins de succès de dissimuler (contrairement à *Walking dead* où finalement tout est clair dès le départ, le monde est détruit, survivez autant que vous pouvez mais ne vous faites aucune illusion).
À partir de ce perspective peu réjouissante s'échafaudent au cours des épisodes deux positionnements idéologiques : la résistance, menée par Quayle et la collaboration, menée par le proxy Snyder. On pourrait se dire que les deux luttent à armes égales, chacun arrivant plus ou moins à mettre l'autre dans l'embarras. Le problème, c’est que les dés sont pipés depuis le début… justement parce qu’il n’y a aucun espoir, même si cela n'apparaît pas aussi clairement que dans *Walking dead.* La série invite clairement le spectateur à rejeter la résistance, clairement vouée à l’échec, la meilleure solution étant de collaborer et d'attendre que ça passe...
Ici, contrairement aux motifs de la venue des aliens, aucune place n'est laissée à la conjecture, quasiment tout dans cette série contribue à dévaloriser la résistance, la révolte. Premièrement, elle est présentée comme anarchique et le fait d’une bande de rigolos ou d’individus pusillanimes ; dans le quatrième épisode, Luis Ortega trahit ses engagements et cède à la proposition alléchante de Snyder. Dans le suivant, nous apprenons que « Geronimo » est le fait d’enfantillages de deux infographistes nantis de la Green Zone qui ont voulu jouer aux apprentis sorciers. Deuxièmement, la résistance est composée de personnages moralement peu recommandables comme Eric Broussard. Tout l’inverse de Phyllis, la bonne collaboratrice dévouée à son travail et épouse attentionnée qui pense à son mari jusqu’à son dernier souffle. Pire encore, la résistance est menée par un opportuniste doublé d’un traître : Quayle. Celui-ci n’hésite pas à faire passer ses propres intérêts au mépris total de la confiance qu’on lui avait accordée ; corollairement, cela signifie que tous ceux qui ont cru en la résistance et qui sont morts pour elle ont fait une grossière erreur de jugement. Voilà ce qu'il en coûte d'être idéaliste et de suivre la résistance... Enfin, et non des moindres, les opérations menées par la résistance, les pertes humaines et les efforts de la pauvre Katie n’ont servi à rien du tout : la mission finale, qui était leur meilleure chance d’en savoir plus sur les aliens et de pouvoir ainsi disposer d’un avantage tactique sur eux, se solde par un lamentable échec, tout ça par manque de temps… Le message est on ne peut plus clair : résister ne sert à rien, car même dans l’éventualité où vous arriveriez à grimper jusqu’en en haut du mur, on vous le rehaussera aussitôt de plusieurs centaines de mètres et on fera couler de l’huile dessus pour s’assurer que vous n’y arriverez jamais. C’est une lutte sans fin, sans espoir. Pour avoir été idéaliste et avoir cru en la résistance, Katie s’est vu perdre la confiance de son conjoint et la garde de ses enfants. À l’inverse de Will, qui lui a fait le choix de mettre de côté ses considérations politiques pour se soumettre à Snyder, et qui se voit gratifié d’un passe lui permettant de retrouver son fils. Pour avoir bien collaboré, Will a obtenu ce qu’il voulait alors que sa femme est devenue une meurtrière alliée à un fou dangereux qui a poussé avec l'aide de Kate les aliens à détruire la ville... pour rien.
Ce qui nous amène à lire le message suivant en creux : acceptez l’ordre établi, ne vous révoltez pas... la révolte ne résout rien, vous avez plus à gagner en vous soumettant à l’ordre établi. Votez Hilary Clinton.
C’est sans doute le fait d’être pris pour un idiot qui me dérange le plus dans cette série, bien au-delà de l'utilisation des extra-terrestres comme d'un vulgaire prétexte. Que tout soit un prétexte pour amener le spectateur à se dire : « finalement, la collaboration n’est pas une si mauvaise chose. C'est raisonnable, c'est censé et on a moins à y perdre sans doute. Et puis ce Snyder, ce n’est pas un si mauvais type finalement, peut-être que je l’inviterais à prendre un café chez moi si j’en avais l’occasion... »