Ne pas lire avant d'avoir vu la Série
Le jeune Lenny Belardo (Jude Law) vient d'être élu Pape son le nom de Pie XIII. C'est une petite révolution au Vatican. Certains prélats, en particulier le Cardinal Voiello (Silvio Orlando) espèrent profiter de l'inexpérience du nouveau Souverain Pontife pour asseoir leurs prérogatives. Mais leurs espoirs sont vite douchés...
Il ne fait guère de doute que nombre de Chrétiens souhaiteraient, plus ou moins inconsciemment, voir élire un représentant qui ne soit pas emprisonné dans les dogmes surannés et surtout liberticides que l'Eglise entretient soigneusement depuis deux millénaires. A ce titre, le discours inaugural du Saint Père (seulement rêvé, est-il bon de le préciser), jette sur le personnage un immédiat coup de projecteur qui promet de futures empoignades jubilatoires avec les momies du Vatican.
Cependant, avant de savourer celles-ci, une première question, intrigante et majeure, se pose à tous ceux qui se passionnent pour la "quête spirituelle", que ce soit par leurs lectures ou par leur pratique personnelle. Ils savent que beaucoup de "sages", de "maîtres", ont atteint par le passé ce que l'on appelle couramment "l'illumination" ou "l'éveil spirituel" (le Bouddha, le Christ, Pythagore...). Mais aussi que, à l'époque actuelle, ces éveillés sont de plus en plus nombreux, et peuvent être côtoyés par chacun d'entre nous. Ce fut le cas au siècle dernier de Krisnamurti, de Ramana Maharshi, de Ma Ananda Moyî, de Douglas Harding, et, présentement, de Eckhart Tolle, d'Amma, de Claudette Vidal, de Somasekha, de Gangaji, ainsi que de beaucoup d'autres. Alors, même si les niveaux d'éveil de ces êtres contemporains ne sont sans doute pas équivalents à ceux d'un Bouddha ou d'un Christ, il n'empêche que leur existence induit forcément une question : Le Pape, qui a tout de même la charge écrasante de succéder à Saint Pierre et de "montrer la voie" à plus d'un milliard d'humains, est-il un "éveillé" ?
Pour l'historien qui étudie la personnalité et l'apport de l'immense majorité de ces héritiers du trône pontifical, la réponse est clairement : non ! Leurs préoccupations majeures ont été de fortifier la puissance de l'Eglise en ravalant chacun de leurs fidèles à des zombies gobant les dogmes les plus aberrants. Ce qui est strictement à l'opposé d'une guidance vers la conscience infinie qui est présente en chacun de nous. Encore récemment, il y a quelques décennies, il était enrichissant de mettre en parallèle deux personnalités spirituelles majeures de notre monde : le Souverain Pontife et le Dalaï Lama. Inutile de préciser lequel des deux respirait la Joie, le rayonnement et la Vie par tous ses pores ! Peut-être une timide évolution est-elle en train de voir le jour ?...
Aussi est-il particulièrement intéressant de regarder avec attention la manière dont le créateur de la Série caractérise ce nouvel arrivant qui a pour tentation, voire pour mission, de bouleverser les traditions glacées et mortifères de l’Église vaticane. Les premières constatations ne sont guère encourageantes. Lenny est un homme psychologiquement traumatisé, manifestement pas en phase avec son être intérieur, et qui, de plus, doute de sa foi. Et ce n'est pas le contenu de sa première homélie publique (la véritable, cette fois-ci) qui fait évoluer la donne. Proclamant haut et fort le mépris que lui inspirent ceux qui ne croient pas, ou encore l'indispensable souffrance nécessaire pour approcher Dieu, il réussit pleinement ce qu'il considère comme son plan : se faire détester par la communauté catholique. Si l'attitude est intéressante sur le plan scénaristique et et sur l'aspect psycho-pathologique du personnage, elle n'en est pas moins intrigante, voire douteuse sur le plan de la stricte vraisemblance. Si l'on fait, à ce moment-là, le bilan de la vision du créateur-réalisateur, on ne peut qu'arriver à la conclusion suivante : que ce soit dans les compromissions et les habitudes ancestrales d'un maillage centralisateur ou que ce soit dans les visions pathologiques d'un Pape révolutionnaire à l'ego surdimensionné, il n'existe nulle voie de salut pour l’Église.
Pourtant, progressivement, subtilement, cette vision évolue. Tout d'abord, au travers de ce qui peut ressembler à des miracles générés par le pouvoir de la prière. Ensuite par ce voyage en Afrique qui donne naissance à un discours où, brusquement, émergent les notions de paix, d'amour, qui, jusqu'alors, ne semblaient guère faire partie du vocabulaire papal. Enfin, à travers les deux épisodes ultimes, pesants, laborieux, désarçonnants, souvent sibyllins, parfois ennuyeux, qui paraissent à la fois une fin et une renaissance. Autant dire que l'ensemble de cette composition tutoie les extrêmes. Touffue dans ses ramifications psychologiques et spirituelles ; déconcertante, nébuleuse, voire agaçante dans son approche mystique ; d'une grande richesse thématique ; inondée de visions oniriques aussi baroques qu'insolites ; tout cela en affichant une magnificence esthétique de premier ordre et une justesse d'interprétation exceptionnelle. A n'en pas douter, une oeuvre aussi singulière qu'artistiquement inspirée.
Bernard Sellier