Quand un réalisateur à forte personnalité comme Paolo Sorrentino pénètre l'univers de la série télévisée, l'attente est obligatoirement très forte et la controverse peut s'enflammer très vite. On se souvient que David Lynch avait provoqué un véritable séisme quand "Twin Peaks" avait débarqué au début des années 90 dans le monde encore très conventionnel des séries télévisées de cette époque. Si l'on avait loué ses personnages iconoclastes et étranges, la description fouillée des mœurs dissolues et opaques de la petite station et l'ambiance éthérée distillée par la musique d'Angelo Badalamenti, on n'avait pas manqué de railler l'étirement de l'intrigue et son manque de cohérence qui avait mené selon certains Lynch dans une impasse telle qu'il avait préféré jeter l'éponge. Paolo Sorrentino est italien et c'est au Vatican qu'il a choisi de planter sa caméra pour "The Young Pope", une série en dix épisodes pour laquelle Jude Law s'est glissé dans la peau de Lenny Belardo dit Pie XIII, un jeune pape élu à la surprise générale après que le très puissant et madré cardinal Voiello (Silvio Orlando) a poussé sa candidature lors d'une des innombrables intrigues de conclaves qui pimentent l'élection de chaque nouveau pape. Un jeune pape de 47 ans relativement inexpérimenté pour faire barrage à son mentor le Cardinal Spencer (James Cromwell), rien de mieux pour continuer de tirer les ficelles dans l'ombre comme l'a toujours fait Voiello. Mais aussi un pape de 47 ans qui ôte brutalement à tous les cardinaux le moindre espoir raisonnable de pouvoir lui succéder. De plus un pape américain venant d'un pays qui n'a pas de tradition catholique solidement ancrée. Tous ces éléments provoquent beaucoup d'interrogations et d'inquiétude au sein de la communauté très divisée des cardinaux. Ils ne seront pas déçus, Pie XIII s'avère dès sa prise de fonction hors norme et très déroutant, aussi rock'n'roll dans ses attitudes qu'orthodoxe dans sa vision de l'église. Paolo Sorrentino qui est à l'écriture, détient là tous les ingrédients pour conter une histoire originale et passionnante. Mais il a un écueil terrible à éviter. Aller trop loin dans les excès offerts par son postulat de départ risquerait de le faire tomber dans une boursouflure à la limite du burlesque qui permettrait à ses détracteurs de corroborer leur thèse selon laquelle le réalisateur de "This must be the place" et de "La grande Belleza" cherche surtout les effets de manche qu'il habille de sujets pseudo-intellectuels qu'il est incapable de défendre sincèrement. Autant dire que Sorrentino est attendu au tournant avec le choix de ce sujet choc qui risque d'ébranler les certitudes d'une institution déjà rudement décrédibilisée et qui mise beaucoup sur son nouveau pape François pour rehausser son prestige. C'est un véritable travail de funambule auquel il se livre et Jude Law avec lui. Une première précaution est prise avec le générique qui nous indique que si la statue de Jean-Paul II est bien renversée par une météorite, tout ce qui suivra ne sera pas à prendre très au sérieux comme l'indique le clin d'œil complice à la caméra que livre Jude Law. Si le jeune pape s'avère iconoclaste, fumant clope sur clope, se faisant bronzer dans les jardins du Vatican, chaussant des lunettes de soleil, refusant d'apparaître en public, mutant ses cardinaux aux quatre coins du monde à partir de l'énorme globe qui trône dans un coin de son bureau (hommage au "Dictateur" de Charlie Chaplin), ou organisant des expéditions punitives chez des prédicateurs marrons, il n'en possède pas moins une connaissance approfondie de tous les textes apostoliques, une conscience aigüe du poids moral de sa charge mais aussi une foi inaltérable qui lui permet dans des moments de grâce d'accomplir des miracles. Ainsi Sorrentino tient en permanence avec un luxe de raffinement, les deux bouts de la corde afin de permettre à chacun de s'y retrouver. Pie XIII s'interroge souvent sur l'origine de la foi chez chacun de ses semblables et pose souvent la question à ses subalternes ou invités. Selon Sorrentino, l'absence d'amour maternel et à plus forte raison le statut d'orphelin est souvent à l'origine du sacerdoce. Orphelin lui-même, Lenny n'aura de cesse de fantasmer le retour de ses parents qui l'avaient abandonné à sœur Marie (Diane Keaton) pour vivre le rêve hippie. Même traumatisme à assumer pour Jude Law que celui d'Orson Welles dans son "Citizen Kane" (1941) où Charles Foster Kane, le magnat de la presse omnipotent, meurt en prononçant le nom inscrit sur le traîneau (Rosebud) sur lequel il jouait le jour où sa mère l'abandonnait à un riche banquier pour parfaire son éducation. Parallèle intéressant à dresser autant pour les deux personnages parvenus au sommet que pour les deux acteurs qui atteignent avec ses rôles la quintessence de leur art. En effet l'audacieux pari tenté par Jude Law, star mondiale reconnue mais sans rôle vraiment marquant à son actif, est en tout point réussi, révélant avec ce rôle toute l'étendue du jeu de l'acteur anglais. Une prestation qui à coup sûr le fera voir autrement par les réalisateurs et producteurs. Remarquablement filmée et mise en musique, cette première saison qui en annonce une autre en 2018, interroge autant qu'elle instruit et éblouit par ses décors et ses costumes somptueux et ses formidables acteurs que sont les Diane Keaton, Silvio Orlando, James Cromwell ou Cécile de France. Ceux qui trouvent que souvent le péché mignon des séries est d'étirer le propos pour tenir les 8 à 15 épisodes obligatoires d'une saison ne seront pas déçus par l'inventivité jouissive sans cesse renouvelée de "The Young Pope"