Recréation de compte oblige, cela sera ma seconde critique avec ce pseudo et elle sera surtout utile à ceux qui ont envie de regarder cette série dont la saison 3 est disponible sur Canal depuis quelques jours. Gomorra…
Pour commencer, je ne comprends absolument pas l'intérêt qu'ont certains ou certaines à venir mettre des notes ou des critiques carrément acerbes sur cette série. Je doute même parfois qu’ils l’aient regardé ou qu’ils se soient renseigné sur les faits, sur la construction, sur l’histoire. Fans dans l’attente continuelle d’effets spéciaux ou de fiction, de blockbusters américains, d’histoires amoureuses platoniques, passez bien sûre votre chemin sans vous retourner…
Critiquer en se basant seulement sur la bande son, l'environnement restreint, le doublage...tout à la fois peut-être…mais surtout en évacuant totalement le contexte général ne permet effectivement pas de s’immerger. Et je veux bien l’admettre. L’environnement « local » ne fait pas rêver...il représente une prison à ciel ouvert dans laquelle les protagonistes sont livrés à eux-mêmes…on les suit entre immeubles, hangars, coins sombres, terrains vagues, cages d’escaliers.. toujours cette crasse et cette couleur éclatante et obscure qui assombrissent l’ambiance. Les protagonistes passent de vie à trépas pour une erreur, une vengeance, une dette Ils ne doivent inspirer au téléspectateurs aucune sorte d’empathie. C’est là tout le paradoxe, on se prend à s’attacher au « moins pire » alors que c’est un criminel qui a au moins blanchi de l’argent, au pire exécuté quelqu’un.. mais dans tous les cas un rouage du crime organisé qui peut être remplacé par un autre à l’infini sans perturber l’ensemble.…c’est un raccourci mais c’est pourtant bien là le sel de la série : qu’on ait le pouvoir ou pas, la vie ne tient qu’à un fil ou à la décision d’autrui d’y mettre fin.
Ignorer presque toute la recherche existante et les investigations menées autour de l’œuvre général de Stefano Sollima , des livres à la série en passant par le film éponyme, est presque une insulte à son travail.
Si la série reste justement dans cette lignée, sans vouloir plaire à qui elle ne plaira jamais et sans s’écarter d’une vision bien répétitive de la vie et bancale mais tellement criante de réalisme, alors, elle pourra durer longtemps…en Italie certainement, en France aussi, j’y reviendrai…
Ne serait-ce que par rapport à la recherche et à la grande proximité entre la réalité et cette série, celle-ci mérite déjà 3 étoiles minimum. Pourquoi ? Je vais étayer mes réponses ci-dessous et développer mes arguments.
Tout d'abord, le contexte général. C’est Naples. Qu’est ce que Naples ? Et bien ce n’est pas qu’une ville qui borde la mer Méditerranée à côté du Vésuve et proche de Pompei. Ce n’est pas une station balnéaire comme tant d’autres. Naples, c’est le sud très pauvre d’une Italie coupée en deux, le Nord et le Sud au niveau de Rome. Passons le cliché Italie du Nord riche et Italie du Sud pauvre, attardons nous sur l’image général renvoyé par la série. Celle-ci ne perd pas de temps à nous montrer les beaux quartiers, les belles villas et les plages de la ville dans sa première saison. La série ne cherche pas à nous séduire ou attirer un public amoureux de l’Italie des vacances. La série est faite pour montrer la réalité des quartiers de Naples contrôlés non pas par la « mafia » rutilante comme on peut l’imaginer dans ses fantasmes mais par des groupes, des familles. Dans Gomorra, on part du bas de l’échelle. La saison 1, démarre avec les petits soldats, les guetteurs, les dealers qui travaillent dans l’intérêtt d’une famille qui contrôle principalement la zone de Scampia et Secondigliano. Ce sont des quartiers pauvres, extrèmement défavorisés ou le chômage explose et ou le gagne pain pour de nombreux jeunes est de faire du business, de faire de l’argent en commençant tout en bas de la hiérarchie. Vol de voiture, revente, guetteur, recel, trafic d’arme, trafic de drogue surtout…la drogue est internationale…la cocaïne est un « carburant » comme Stefano Sollima l’a décrite dans un livre et plus que le pétrole, les bijoux ou les pierres précieuses, la cocaïne est partout et le besoin existe partout. On évolue avec les personnages en passant aux différents capi des places de deal qui tiennent ces jeunes pousses. Ces jeunes pousses qui auront fait leur arme seront ensuite soit éliminé, soit à leur tour capo du quartier et de la place de deal. Puis vient le moment de gloire pour la plupart de se faire appeler Don ou Donna, marque de respect, dans la saison 2…souvent cette gloire est un sommet suivi d’une décadence souvent fatale. Ce début en tout cas est fait de manière à nous laisser penser que Don Pietro Savastano et sa famille sont les patrons, les rois, des nantis. Qu’ils seront invincibles et que rien ne bougera. C’est l’erreur qu’on fait si on ne s’est pas documenté (d’ailleurs, est-on obligé de se documenter avant de regarder une série). La vérité est que, dans la réalité comme par la suite dans la série, cette famille, ce clan est seulement un rouage. Une belle maison, des hommes de mains et une poigne de fer. Elle ne contrôle pas Naples. Elle ne contrôle pas la région. Elle ne contrôle pas l’Italie. Elle n’a même pas le luxe et le train de vie de la famille Corleone dans la saga « Le Parrain ».. Il y a un chef au niveau de chaque strate. Un quartier de Naples est contrôlé par un clan, un autre par un autre clan. Naples est contrôlé par un gros bonnet. Et ce même gros bonnet fait partie d’un rouage qui l’amène à rencontrer les autres rouages des régions aux alentours. A faire prospérer les affaires, respecter les accords et ainsi de suite de par le monde…dans la série on parle de l’Espagne, du Honduras…de l’Allemagne…mais dans la réalité c’est aussi la Colombie, le Mexique, les Etats-Unis, la France, les balkans. Le contexte est donc sale, crasseux, angoissant et oppressant…les règlements de compte omniprésents, les assassinats et les pertes humaines nombreuses. Oui. Et c’est bel et bien la réalité et plus qu’inspiré de la vie réelle. Naples n’est pas Beverly Hills. Y vivre est peut-être encore bien pire que le voir dans une série.
Ensuite la série s’inspire largement de faits réels. Certes, pour des raisons d’enquêtes en cours ou de risques de diffamation, les personnages ont des noms fictifs et sont même physiquement différents de ceux qui ont existé dans ces quartiers. Là ou l’on a des personnages séduisants, propres sur eux voir charismatiques et classe comme le regretté Salvatore Conte, la vie de Naples a vu mettre en prison des hommes parfois petits, trapus, pas toujours des gueules d’ange. Là ou Donna Ima est une belle femme, impeccable comme Scianel ou Patrizia
la messagère
, les femmes qui ont pu être arrêtées et condamnées ont fait preuve de violence, de vulgarité et n’était pas forcément sur des proportions de top modèles ou habillés par les plus grandes marques. Un des boss de la mafia récemment décédé, Toto Riina, n’avait pas forcément l’allure d’un Robert de Niro ou Al Pacino. Mais il avait le respect pour avoir gravi tous les échelons de la criminalité en passant par les petits délits, la prison et puis ensuite les affaires et souvent de façons plus ou moins expéditives… Mais la situation dépeinte dans la série, elle, a bel et bien existé. Cette guerre de quartiers, cette scission dans le clan à Secondigliano a bien eu lieu au milieu des années 2000. Les meurtres et règlements de compte avec leur lot de victimes collatérales. Et comme dans la série, la police ne représente qu’une menace diffuse seulement en dehors du quartier. A plus hautes échelles, ce sont de grandes enquêtes qui peuvent faire capoter une partie des affaires, vaciller un tout petit peu le système. Mais jamais tout.
Les lieux sont bien réels, il suffit de faire quelques google map voire pour les plus courageux de s’y rendre pourquoi pas. Le réalisateur n’est pas là pour montrer le bord de la côte amalfitaine avec une histoire amoureuse de gens qui marchent main dans la main, les enfants qui font des châteaux de sable et le chien qui courre dans l’eau. Il se rapproche et nous amène au plus près de la situation. Quand on fait une parenthèse avec la France dont je parlais en préambule, Grenoble ou Marseille ont récemment connu des épisodes de violences.. Un commissaire de police ou un magistrat a d’ailleurs dépeint la situation comme celle de la série « Gomorra » pour Grenoble. Cela n’a rien d’étonnant. Pour ceux qui vivent de près ou de loin dans ces villes, le niveau de pauvreté n’est pas le même qu’à Naples, mais c’est tout de même sur place, en bas de chez eux, de nombreuses places de deal et des règlements de comptes qui finissent dans les médias nationaux.
Enfin, la réalisation générale s’avère très correcte. C’est une série italienne, pas américaine et pourtant la qualité visuelle n’en souffre pas. On est bien au dessus de nombreuses séries françaises en terme d’image…. C’est lisse, fluide et les gestes des protagonistes sont filmés de façon nerveuse. Une tension se crée immédiatement car nous ressentons souvent la tension des personnages au travers de leur mouvement, leur quotidien. L’image est faite pour nous immerger sans artifices superflus. Les couleurs, même souvent sombres, collent parfaitement à la noirceur du récit. L’obscurité ne nuit pas à notre vision des choses comme dans de nombreux films d’horreur à l’époque ou nous ne voyons rien dans les scènes peu éclairées. Les images de nuit auraient tendance à me faire penser au 3 films American Nightmares pour ceux qui connaissent, une production américaine qui se passe de nuit avec beaucoup de mouvement. On est au moins à ce niveau. Tantôt nous marchons de nuit dans des endroits ou des rues éclairées par quelques néons verts, bleus, quelques phares de voitures…tantôt nous sommes en journée éclairé par un soleil qui met en évidence des décors poussiéreux et bétonnés. Le tour de force visuel est réussi, il était de nous plonger littéralement dans ces milieux hostiles et c’est réussi selon moi.
A l’oreille, je reconnais une faiblesse dans le doublage français. Les voix ne sont pas toujours bien choisie comparées à la version italienne. Don Pietro a une voix un peu nasillarde alors que dans la version italienne, il a une voix plus grave. Ce bémol gâche un peu le jeu des acteurs mais pour ceux qui maitrisent un peu l’Italien, regarder la VO donne un cachet supplémentaire. Après s’y être habitué, on peut juste souhaiter que la distribution française ne s’amuse pas à changer les doubleurs. J’ai en tête le dernier loupé français en date dans Malavita, film ou De Niro n’a pas son doublage habituel et ça fait mal aux oreilles.
La bande son, excellente elle, colle au décor. Le rap italien est très présent car le c’est une musique urbaine et là, on est dans un paysage urbain. Je trouve que c’est bien senti. Le rap est une musique sauvage et le contexte est sauvage. Speed et nerveux. On hésite pas à mettre de la musique quand les protagonistes se déplacent en voiture et ça permet un temps de sortir, comme le personnage, du quotidien par la musique. Pour le reste, les thèmes générique choisis et les sons font monter l’adrénaline dans les situations de stress, d’angoisse et je trouve ça plutôt bien senti en général…quand un personnage est en phase d'intrigue ou de recherche arme à la main avec ce fond sonore électrique et que son adrénaline monte, la nôtre aussi. Pour ma part, lorsque l’on est sur certaines scènes, je ressens la tension. Malgré le CV des personnages et leur lourds passifs, je dirai qu’on angoisse pour eux, on se demande ce qu’il va leur arriver dans ces séquences ou le fond sonore est oppressant. Une franche réussite.
Pour conclure, et même si nous en sommes qu’à la 3ème saison, je mets 5 étoiles pour cette série au travers de tout ce que je viens de citer. Cela n’engage que moi. Tous ceux qui se penchent sur ce genre de sujet, qui ont aimé les différentes œuvres cinématographiques sur la pègre et ses filières ou les documents, livres , essais ayant attrait à la série savent que la réalité est moins policé et encore plus complexe. Néanmoins on retrouve tous les ingrédients permettant de s’immerger rapidement et efficacement et ça marche ! Pour le moment ! La qualité de l’œuvre, ne serait-ce qu’au travers de la mine d’information qu’elle a nécessité aux créateurs, mérite le détour ou le coup d’œil ou sinon, plus simple encore, un coup de chapeau à Stefano Sollima et son équipe . Pour le reste, à vous de juger !