Très chaudement accueillie par la critique américaine, "Jane The Virgin" était pourtant, potentiellement, à redouter. Une histoire sur une jeune fille qui tombe enceinte sans coucher, qui garde le bébé même si elle n'en voulait pas, et porte dans son cœur la vision très religieuse du sexe inculquée par sa grand-mère ? Cette histoire sentait la pudibonderie au-delà de l'océan Pacifique. Première bonne surprise, si Jane n'est clairement pas une délurée et qu'elle n'est pas très longtemps tentée par l'avortement (il est fait mention d'une pilule qu'elle peut prendre mais, comme sa mère qui l'a eu à 16 ans, elle s'y refuse), "Jane The Virgin" n'est pas une tribune "pro-life" ni un pensum conservateur. La grossesse sert bien plus de déclencheur narratif et émotionnel : côté scénario, elle lance une histoire 100% télénovela. Côté émotions, elle permet de mettre en perspective une famille de femmes, de la petite fille (Jane) à la grand-mère, et leurs relations pleines de bons sentiments contrariés. Certains trouveront sans doute cette histoire émouvante. Mais, au terme du premier épisode de la série, c'est surtout la dynamique "télénovélesque" qui fonctionne. Donc Jane, 23 ans, qui ne couchera pas avant le mariage, est enceinte par "miracle". Son petit ami, un mec trop super pour ne pas être louche, va-t-il vouloir de cet enfant qui n'est pas le sien mais celui d'un ancien flirt de Jane (et aussi son patron millionnaire) et un ancien malade du cancer, tant qu'à faire, dont la sœur est la gynéco de Jane, qui elle-même est trompée par son épouse (elle est lesbienne) ? Et la femme du père biologique, qui est là pour l'argent (et est infidèle, elle aussi), qu'en penser ? Vous me suivez ? Dans cette histoire volontairement rocambolesque, tout le monde est le frère, la sœur, l'amant ou le cousin caché d'un autre personnage. "Jane The Virgin" n'est pourtant pas une parodie de télénovela. Son charme vient justement de son équilibre très "méta" entre respect du genre (les émotions des personnages sont traitées le plus sérieusement possible) et recul amusé. Un narrateur au fort accent mexicain raconte cette histoire-là non sans humour (qu'une voix-off soit la bienvenue dans une série est assez rare pour être signalé), et une mise en scène très pop et nerveuse multiplie les apartés clin d’œil aux télénovelas (un héros de télénovela sort carrément de sa série pour s'adresser à Jane et la conseiller). S'ajoute à cela des personnages volontairement stéréotypés : la jeune ingénue, le riche séducteur, la grand-mère très croyante, l'épouse cupide, etc... Ce mélange dynamique, original, joyeusement surchargé, rend la série suffisamment surprenante pour qu'on dépasse nos idées reçues sur les télénovelas. De là à en faire une des meilleures séries américaines produites par la CW, peut-être pas. Il faut avoir une forte tolérance au sucre, et tolérer son rythme effréné, qui ne laisse que peu d'espace, pour l'instant, pour les dialogues développés. On se demande par ailleurs si le format de 40 minutes par épisode est le plus approprié (même si c'est celui des télénovelas, un bon vieux format de 20 minutes n'aurait peut-être pas été plus mal). Cette petite série américaine mignonnette reste un très bon divertissement suffisamment neuf et enlevé pour un peu rafraîchir le paysage de la comédie romantique outre-Atlantique