Avènement majeur sur le support du géant de la VOD, la prime collaboration entre les studios Marvel et Netflix porte très rapidement ses fruits, la preuve en est d’une pluie d’éloges en rapport à ce fameux Daredevil. Drew Goddard livre, au format conventionnel de 13 épisodes d’une petite heure, une vision d’avantage musclée, mature, de l’univers vaste de l’écurie Marvel, offrant le contrepied parfait à l’aseptisation des productions cinématographiques de la firme. Le retour sur les écrans du justicier aveugle, la dernière apparition du personnage au cinéma n’est en rien mémorable, ravive l’espoir des quelques fans, des amateurs de fictions du même genre, de redécouvrir des adaptations de comics dignes de ce nom. Mieux encore, la production annonce d’emblée l’imbrication de plusieurs séries similaires, soit de plusieurs personnages centraux, à moyen terme. De quoi réjouir les adeptes comme les plus timorés, ceux cherchant encore, moi de même, une justification autre que commerciale à cet étalage du genre. Netflix offre donc à son public une réelle opportunité de visionner les aventures de super-héros autrement, avec le regard critique d’un adulte et l’éventuelle passion d’un fan des romans graphiques, les fameux comics.
Que vaut donc réellement la série de Drew Goddard, du moins sa saison première? Outre la petite révolution qu’elle propose, sur le plan d’une approche plus sombre, plus substantielle que celle proposées par le MCU et consort, l’esprit initial de l’œuvre écrite semble avoir été plus ou moins conservé. Sans reprendre l’évolution du personnage de Matt Murdock depuis ses origines, les flashbacks auront cette tâche-là, nous découvrons le personnage alors qu’il s’efforce déjà d’être celui qui rendra justice dans Hell’s Kitchen. Pas encore le super-héros qu’il deviendra, armure à l’appui, le personnage développe tout de même, d’entrée, la volonté d’agir dans l’ombre pour le bien de la société, à l’image, évidemment, d’un certain Batman, dont la production s’efforce ici de prendre comme référence l’univers morose dans lequel celui-ci évolue. Comme de bien entendu, la légitimité des actes du justicier est sans cesse remise en cause. Est-il un criminel? Est-il nuisible? Ce questionnement, un brin facile, nous renvoie directement à la psychologie de la trilogie du chevalier noir. Autre référence, bien évidemment, l’héritage Marvel au cinéma, dans sa manière condescendante de confronter le bien absolu et le mal, tout aussi absolu. Tout est globalement, sur le plan psychologique ou narratif, convenu. Mais cela n’est pas d’une importance primordiale.
L’atout premier de la série, outre une mise en scène racée, le juste équilibre trouvé entre réalisme et fantastique, c’est sans doute le charisme des comédiens. Charlie Cox, convaincant dans la peau du personnage central, aura la lourde tâche de défaire l’entreprise nuisible du dénommé Wilson Fisk, incarné, quant à lui, par un brillant Vincent d’Onofrio. Ce dernier compose un personnage à la fois fébrile et d’une race force, férocité. Ses motivations étant explicite, il n’est qui plus est pas qu’un grand méchant stéréotypé. Non, celui-ci est avant tout un être commun, à la base, à l’image de son adversaire. Pour une fois, l’adaptation de comics sur les écrans prend réellement la peine de donner une histoire, une âme à ses personnages, qu’ils soient bons ou mauvais. Rien n’est ici laisser au hasard, sur le plan personnel des deux ennemis, celui induisant un impact émotionnel d’avantage marquant que sur un support filmique nettement plus impersonnel. On notera au passage que les personnages secondaires sont eux-aussi très bien développés.
Coté réalisation, l’équipe technique s’efforce sans discontinuer à jouer sur les contrastes, privilégiant les atmosphères sombres et les éclats lumineux au détriment d’un éclairage prédéfini, lisse et convenu. La série tire donc sa noirceur d’une photographie maitrisée, un choix artistique probant car complément raccord avec l’esprit du show. Par ailleurs, quelques séquences relèvent d’une maîtrise technique somme toute assez rare à la télévision, notamment en ce qui concerne la maîtrise du hors-champ et des reflets. Parfois un brin poussive, quelque peu convenue sur le plan émotionnel, en certaines occasions peu crédible, la série n’en reste pas moins une réussite, dans l’ensemble. L’on ne peut dès lors que se réjouir, non seulement de retrouver Daredevil l’année prochaine, mais aussi Jessica Jones dans un petit mois et tous les autres projets concordants qui seront disponibles sur le support. Enfin un super-héros convaincant. 14/20