Si la série a quelques airs de L'Instit en version ghetto français, avec ce scénario un peu attendu de la prof qui va sauver les garnements par la littérature... et que le personnage de Manon est un peu trop beau, trop victime malgré ses actes - victime parce que trop sensible dans un monde absurde, la série prend, fermement et viscéralement. La réussite de cette princesse Sarah des quartiers qui en arriverait presque à transformer le centre en une utopie... a quelque chose du conte de fées. Séparation d'avec la mère, isolement en terrain hostile, rencontre d'adjuvants, mises à l'épreuve, accession à un nouveau stade social. L'adolescence est bien un parcours initiatique et un rite de passage avec affrontements de monstres.
Jean-Xavier Lestrade, reconnu pour son travail de documentariste, nous introduit dans cet établissement pour jeunes en détresse sociale, et nous fait apercevoir son fonctionnement : les tensions, les irrégularités, les forces et les failles. Un centre expérimental, forcément très coûteux (beaucoup d'employés pour un encadrement maximal), et l'on devine que la réussite de Manon et celle de ce centre sont liés. Et aussi celle de toute une pédagogie portée sur l'attention à l'individu, l'expression personnelle et artistique, la confiance progressive... par opposition à la gestion collective par la rigidité autoritaire (qui a comme soutien la gestion financière). La cause de la "folie" de Manon n'est pas expliquée (comme n'était même pas mentionné l'acte du condamné dans Le Dernier jour d'un condamné de Hugo), comme nombreux actes adolescents, tout adolescent n'est-il pas parfois dominé par quelques accès peu explicable qui peuvent mal-tourner ? Le personnage de Marina Foïs est clairement celui d'une mère dépassée... Quel parent n'a pas eu au moins peur d'être dépassé ? Le spectateur peut s'identifier - par l'oeil maternel de la prof - en dépit de l'acte de Manon et de ses côtés ado agaçante.
Comme si l'on était Manon finalement, tout tourne autour d'elle, certes, elle se trompe quelques fois mais la plupart du temps elle est tout de même la victime d'injustice, mais c'est son point de vue. Et par son jeu impressionnant sur ses bouillonnements de rage, elle nous fait vivre son sentiment d'injustice (exagéré, mais illustrant justement bien l'exagération adolescente), sentiment qui dans la réalité pourrait être de mauvaise foi, mais qui de son point de vue est entièrement légitime. Le scénario est simple, et tout en lissant un peu les personnages pour les rendre attachants ou repoussants, ils ne sont pas exempts d'erreur et donc d'humanité (et illustrent bien la difficulté de l'entreprise humaine, imparfaite et faillible aux yeux de la gestion comptable). Le jeu d'Alba Gaïa Bellugi a quelque chose du Rebelle sans cause de James Dean, connu en français sous le titre de "La Fureur de vivre". Et le passage d'un titre à l'autre pourrait assez bien qualifier cette séduisante boule de nerfs qu'est Manon. La jeune ado cherche la raison de sa colère, de sa détresse et explose de ne pas la trouver. Mais ce qui séduit, c'est en même temps dans le fond de ses explosions rageuses et presque épileptiques, dans l'intensité même de ces folies, elle impressionne, on sent cette fureur de refuser et donc de vivre.
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