Lancée début 2014, True Detective est également la série qui a le plus marqué l'année dans le paysage télévisuel. Au milieu de créations déjà en place et destinée à enquiller les saisons (Game of Thrones, House of Cards, The Walking Dead, Homeland), elle fait presque office d'électron libre. Son format anthologique (l'intrigue s'achève en huit épisodes) l'écarte des standards actuels. Mais c'est bien évidemment sa qualité formelle qui a contribué sa renommée. Son créateur et scénariste, Nic Pizzolato, emballe un récit d'investigation colossal (évoquant David Fincher et Kant, entre autres) et d'une qualité d'écriture inouïe. La réalisation intense de Cary Fukunaga (unique réalisateur de la saison) a offert une partie des scènes les plus fascinantes de l'année (tout format confondu). Et bien sûr le duo formé par Matthew McConaughey/Woody Harrelson (tous deux prodigieux), devenu aujourd'hui iconique. Un triomphe critique et public, qui laissait peu de place aux doutes: une saison 2 verrait le jour.
Et c'est le cas. Mais attaché au principe du renouvellement, Pizzolato coupe les ponts avec la végétation luxuriante de la Louisiane et dit au revoir à la paire Rust Cohle/Martin Hart. Cette saison 2 établit domicile dans le paysage Californien et comprend 4 personnages principaux. Ray Velcoro, flic du comté fictif de Vinci, divorcé et en lien avec un ponte de la mafia, Franck Semyon. Puis Ani Bezzerides, enquêtrice hard-boiled et sans attache du service de Ventura. Et enfin Paul Woodrugh, officier de patrouille pour les autoroutes Californiennes au passé militaire trouble. Le jour où le corps de Ben Caspere, City Manager de Vinci, est retrouvé sans vie, les 4 personnages se retrouvent mêlés à une sombre histoire de corruption qui va prendre des proportions insoupçonnées.
Là où la précédente saison offrait une perspective verticale (où l'on s'enfonçait dans le passé pour résoudre une enquête au présent), la nouvelle histoire privilégie l'approche horizontale, partant d'un point central (la mort de Caspere) pour étendre l'intrigue sur ses nombreuses ramifications (à l'image de ces voies d'autoroutes qui s'entremêlent, souvent filmées en plans aériens). De plus, le décor florissant et coloré a laissé place ici à un environnement aride et terne. Cary Fukunaga avait offert une mise en scène élégante et précise sur la première saison. Cette fois, 6 réalisateurs se sont succédé pour raconter la seconde. Le rendu est à l'image de l'environnement: abrupte et sec. Mais l'efficacité est là et comporte son lot de scènes remarquables. Et vient la différence la plus évidente (et sûrement la plus controversée) entre les deux saisons: l'écriture. Une des principales caractéristiques de la première résidait dans les longs et magnifiques discours de l'atypique Rust Cohle (qui partait volontiers dans le pessimisme métaphysique). La seconde se refuse à en faire une formule, inutile donc de s'attendre à de nouvelles réflexions philosophiques (même si on peut détacher plusieurs phrases fortes). De la même manière, aucun des personnages présents ici n'offre un caractère aussi atypique que Cohle. Tous les 4 semblent appartenir à des archétypes, mais certains de leurs traits de caractères les font petit à petit sortir de leurs cases. Et les thématiques diffèrent sensiblement.
D'une certaine façon, la saison 1 parlait de pères dysfonctionnels mais sublimes. Celle-ci s'intéresse aux enfants glorieux mais tragiques. Le legs d'une génération à une autre, les erreurs du passé qui gangrène toujours le présent, la quête identitaire au milieu d'un environnement faux et désespéré,... Beaucoup de sujets certes, mais traités avec une certaine finesse, en dépit de certains passages peu inspirés. Et les comédiens savent donner une vraie épaisseur à leurs personnages. Colin Farrell trouve l'un de ses meilleurs rôles en Ray Velcoro, charismatique et fréquemment touchant. Vince Vaughn, d'une sobriété à toute épreuve (à l'opposé de ses nombreux rôles comiques), excelle en Franck Semyon. Rachel McAdams est intense comme jamais en Ani Bezzerides (l'épatante actrice trouve là son meilleur rôle). Taylor Kitsch fait également forte impression en Paul Woodrugh. Et on peut aussi détacher les parfaits Ritchie Coster (le maire Chessani) et James Frain (lieutenant Burris).
Bien sûr, certains défauts sont là: la narration aurait gagné à être plus resserrée, la réalisation n'est pas aussi mémorable que sur la première, et certaines répliques ne sont pas des plus originales. Il est également possible de trouver certains éléments bâclés. Par contre, dire de l'intrigue qu'elle est incompréhensible me semble aberrant. Pour peu qu'on regarde cette saison de la même façon que la précédente, on comprend vite les tenants et aboutissants et on assemble le puzzle à mesure qu'on nous donne les différentes pièces. Un joli puzzle sous de jolies influences (Michael Mann, James Ellroy période Le Grand Nulle Part).
Les attentes étaient très hautes, c'est certain. Peut être même déraisonnables. Mais au final, Nic Pizzolato a rempli son objectif pour moi: raconter une nouvelle histoire, avec de nouveaux personnages et une identité qui lui est propre.