Que cette série est tristement actuelle ! Dans les temps agités de la phallocratie décadente, voici venir une œuvre qui promeut un nouveau slogan : balance-ta-communauté. Ou comment un homme peut être le géniteur de toute une contrée par le seul fait qu’il soit un homme et que son appétit insatiable le conduise à abuser de chaque femme qu’il rencontre, aidé en cela par la consommation de drogues et d’alcool. Dès le générique se met en place une tension entre un titre – en l’occurrence, Top of the Lake – et un geste, celui d’une descente dans les entrailles de ce même lac. Deux mouvements inverses, en somme, qui poussent à remettre en question les titres masculins :
l’agent de police est un proxénète, le père un violeur d’enfant, l’amant un frère en puissance
. Nous errons dans les faux-semblants et la transgression, mis en scène avec les mêmes lourdeurs que les vers enragés d’Agrippa d’Aubigné dans les Tragiques. Au royaume de l’interdit, l’homme est un roi, la femme sa victime. L’environnement naturel est à la fois un appel à la méditation et à l’engloutissement : le gigantisme des forêts et des montagnes écrase les êtres et leurs souffrances, contraint le masculin à rivaliser avec la nature en recourant à la violence. Le seul îlot de tranquillité, c’est « Paradise », sorte de Woodstock pour femmes brisées où l’on peut voir des vieilles se balader nues, un gourou aux cheveux sales prêcher l’autoconservation, une dame nous parler des relations avec son chimpanzé (allégorie du mari ?). Alors, pas de doute là-dessus, Top of the Lake revendique une bizarrerie dépressive, saisit dans ses décors ce sentiment de solitude qui contraint les individus à se heurter les uns aux autres pour se prouver qu’ils existent. Seulement, à quoi bon marteler un féminisme aussi nauséabond dont les partis pris quittent le champ de l’art – nous sommes devant une série et non devant une tribune politique – pour choir dans l’agression et la complaisance. Car filmer de la sorte le malheur de la femme, avec une telle brutalité, une telle froideur, une telle outrance, donne l’impression que l’œuvre se repaît de la situation qu’elle entendait pourtant dénoncer. Créatrice de la série, Jane Campion ne laisse pas son propos jaillir des images mais assomme par la massue de l’idéologie douteuse toute spontanéité du geste cinématographique, spontanéité qui faisait de La Leçon de piano, entre autres, un monument. Coincée entre la harangue féministe et l’interprétation d’un personnage de fiction, Elisabeth Moss ne porte que rarement le charisme tragique que Robin Griffin exigeait, passe d’un lieu à l’autre, une moue névrosée au visage. Il est assez atterrant de constater qu’une cinéaste aussi talentueuse que Campion ait, en tant de temps, appris si peu, au point de sacrifier sur l’autel de la cause politique l’opacité de ses figures, l’étrangeté insondable de ses atmosphères, le lyrisme désespérant qui perce à de rares occasions dans la noirceur humaine des halos de sublime.