Je crois qu'on peut sans hésitation qualifier de chef-d'œuvre cette courte série britannique. A quatre époques différentes (correspondant aux quatre saisons), l'ambitieux prince Edmund the Black Adder (la fameuse vipère noire) et ses descendants successifs, tous incarnés par le jeune Rowan Atkinson, voient leurs ambitions malmenées par la médiocrité du monde et la bêtise des puissants.
La première saison, de l'avis général, est bien inférieure aux trois suivantes, mais les aventures du premier Blackadder, bâtard princier d'une Angleterre médiévale fantasmée, mériteraient encore trois étoiles à mon avis en raison de la qualité des dialogues et de quelques trouvailles scénaristiques particulièrement inspirées (notamment dans l'épisode de l'archevêque et celui du mariage). Toutefois, la saison peine à se mettre en route, et sa fin est plutôt paresseuse également. La bande-son, qui recourt fréquemment à des orgues messiaenesques est plutôt fatigante, et la bêtise partagée du Black Adder et de ses deux principaux sidekicks engendre plus de répétitions que d'effets comiques. Trois étoiles.
Ne vous découragez pas, et même si vous ne parvenez pas à la fin de la première saison, regardez la deuxième car le personnage principal, un lord Blackadder courtisan de la reine Elizabeth à la fin du XVIe siècle, prend toute sa dimension d'arriviste ironique et par moment, poétique. Le reste de la distribution, composée de personnages tous plus caricaturaux mais mieux joués les uns que les autres, suit, et cette sorte de Commedia dell Arte so british produit six épisodes presque indépendants et délicieux, évoquant avec beaucoup de drôlerie et une économie de moyens admirable l'âge de Shakespeare - on a véritablement l'impression d'assister à la captation filmée d'une troupe d'impro brillantissime, je crois que c'est ce que la télévision a pu faire de mieux avec la tradition du théâtre amateur. Si cette deuxième saison est d'après moi la meilleure, c'est aussi en raison des génériques de fin de chaque épisode, petites merveilles de comptines pseudo-morales. Cinq étoiles.
Dans la troisième saison, le Black Adder a encore dégringolé dans l'échelle sociale, et, devenu l'astucieux majordome du prince régent d'Angleterre vers 1800, fait l'expérience de la condition domestique. Ce troisième avatar se révèle à mon avis le personnage le plus complexe et attachant de sa dynastie, cependant un ou deux épisodes un peu plus faibles et un casting peut-être un peu trop réduit rendent la saison (légèrement) inégale. Les créateurs s'y attaquent cependant à un nombre réjouissant de vaches sacrés, du parlementarisme anglais aux grands auteurs du XVIIIe siècle, en passant par les héros contre-révolutionnaires et anti-français - la série devient là d'une érudition remarquable, tout en pratiquant avec joie l'approximation parodique. Quatre étoiles et demi.
On dévorera enfin la dernière saison, qui relève l'audacieux pari de se dérouler dans les tranchées de la première guerre mondiale. Le capitaine Blackadder et la plupart de ses comparses, toujours joués par les mêmes acteurs, se retrouvent en proie à la cruauté de la guerre et à la bêtise des généraux, et mûrissent des plans astucieux pour y échapper. On rit peut-être le coeur un plus serré à l'évocation de cette époque presque contemporaine, malgré le génie d'écriture dont ont fait preuve les auteurs. Le dernier épisode (Goodbyeeee) est à la hauteur de sa légende, ce qui n'est pas peu dire. Quatre étoiles et demi.