Abandonné par sa mère gouvernante alors qu’il était bébé, Carl Theodor Dreyer est adopté en 1891 par la famille Dreyer et ne découvre la vérité qu’à l’âge de 17 ans. Le jeune homme fait ses débuts en tant que journaliste et exerce divers métiers entre 1906 et 1912. En 1912 il est engagé à la Nordisk Films Kompagni au sein de laquelle il gravit peu à peu les échelons, débutant rédacteur d’intertitres, passant scénariste, puis monteur et réalisateur. C’est en sortant de la projection du film de D.W. Griffith, L’intolérance, que le jeune Carl Theodor Dreyer décide de passer à la réalisation. Il met en scène, en 1918, le long métrage Le Président, l’histoire d’un jeune homme de la haute société obligé d’épouser une jeune femme. Des années plus tard, devenu magistrat et après avoir abandonné sa femme, il doit juger sa propre fille accusée d'infanticide. Certains voient dans le sujet de ce premier film un côté autobiographique.
Très prolifique au début de sa carrière Carl T. Dreyer met en scène un film par an de 1918 à 1922 : Pages arrachées du Livre de Satan (1919), La Quatrième Alliance de dame Marguerite (1920), Il était une fois (1922) ou encore Aimez-vous les uns les autres (1922). C’est avec la comédie dramatique Michael (1924) - dans laquelle le peintre Claude Zoret, et Michaël, son modèle préféré devenu son fils adoptif, entretiennent une relation ambigüe - que Carl T. Dreyer accède à une renommée internationale. Le metteur en scène danois dira plus tard que c’est en réalisant Michael qu’il comprit que c’était au réalisateur de diriger l’acteur afin que celui-ci entre dans la peau de ce personnage. L’année suivante, il adapte la pièce Le Maître du logis, une comédie dramatique dans laquelle un mari tyrannique (Johannes Meyer) comprend ce qu’il a fait endurer à sa jeune épouse (Astrid Holm) en hébergeant sa vieille nourrice autoritaire (Mathilde Nielsen). Le film reçoit un bel accueil de la part du public français. Devant le succès, le vice-président de la Société Générale de films, le Duc d’Ayen confie à Carl T. Dreyer un manuscrit écrit par Joseph Delteil et retraçant le procès de Jeanne d'Arc en 1431. Le metteur en scène, passionné par l’histoire depuis la canonisation de Jeanne d’Arc en 1924, remanie le manuscrit afin d’en faire le scénario de La Passion de Jeanne d'Arc (1928). Et pour incarner la parfaite Jeanne d’Arc le cinéaste fait passer plusieurs auditions. Si Madeleine Renaud et Lillian Gish ont été pressenties, c’est finalement la comédienne de théâtre Renée Falconetti qui décroche le précieux rôle. Le visage marqué de l’actrice subjugua Dreyer qui en fait le sujet même du film, celui d’une femme passionnée qui semble endurer toutes les souffrances de l’humanité.
Contrairement à de nombreux cinéastes, Carl Theodor Dreyer est ravi de l’arrivée du cinéma parlant. N’ayant pas pu réaliser La Passion de Jeanne d’Arc avec les nouvelles techniques du parlant, il met en sècne dès 1932, son tout premier film sonore, Vampyr. Mais le metteur en scène ne délaisse pas pour autant certaines techniques du cinéma muet, comme les intertitres et les cartons. Le rôle principal de Vampyr est tenu par un certain Julian West, un pseudonyme sous lequel se cache le Baron Nicolas Louis Alexandre de Gunzburg, également coproducteur du film. Mais le public n’est pas au rendez-vous de ce film aujourd’hui considéré comme culte, et son échec éloigne durant 10 ans, Carl T. Dreyer des plateaux de tournage. Après plusieurs projets avortés et refus du cinéaste - notamment d’aller travailler en Allemagne pour Hitler - Carl T. Dreyer se consacre uniquement à son métier de journaliste. Mais en 1943, le cinéaste décide de revenir derrière la caméra en adaptant la pièce de Hans Wiers-Jennsen et Ann Pedersdotter, Jour de colère. L’année suivante il réalise Deux êtres, l’histoire d’un brillant psychiatre accusé d'avoir copié la thèse de son collègue. De 1947 à 1954, Carl Theodor Dreyer ne réalise que des courts métrages de commande sur des sujets tels que la prévention routière, les aides aux mères célibataires ou encore la construction des Eglises…
En 1952, l’Etat du Danemark lui confie la concession du Dagmar Teatret, dont il s’occupera jusqu’à la fin de sa vie. En 1954, Carl T. Dreyer réalise le long métrage Ordet (La Parole), adapté d’une pièce de théâtre. Le film - qui a remporté en 1955 le Lion d’Or à la Mostra de Venise - imagine Johannes (Preben Lerdorff Rye) un fils de paysan, devenir le nouveau Christ. Plus généralement Dreyer se pose ici, comme dans la quasi-totalité de ses films, la question de la place de la religion dans nos vies. Une première version de la pièce de Kaj Munk avait été mise en scène en 1943 par Gustaf Molander avec Victor Sjöström dans le rôle principal. Après une nouvelle pause de 10 ans, Carl Dreyer revient à la réalisation avec une nouvelle adaptation de la pièce (de Hjalmar Söderberg) Gertrud (1964), l'histoire d’une femme et de ses histoires d'amour avec trois hommes, un qu’elle n’aime plus, un qu’elle n’a jamais aimé et un qu’elle aime mais qui se joue d’elle. Le film est un échec et est très mal reçu par le public. Gertrud est le dernier film mis en scène par Carl Theodor Dreyer qui décède le 20 mars 1968 à l'âge de 79 ans sans avoir pu réaliser le film qui lui tenait réellement à cœur : un long métrage sur la vie du Christ.