Passionné par le septième art, le jeune Yves Boisset commence par écrire des critiques sur ce sujet, puis collabore avec Bertrand Tavernier et Jean-Pierre Coursodon sur l’ouvrage "Vingt ans de cinéma américain". Parallèlement, il se familiarise avec les plateaux de tournages en côtoyant de grands metteurs en scène - tels Yves Ciampi, Sergio Leone, Jean-Pierre Melville et Claude Sautet - par le biais du poste d’assistant réalisateur. C’est en 1968 qu’il saute le pas en réalisant Coplan sauve sa peau, petite série B centrée sur les aventures de l’espion Francis Coplan, un personnage qu’il connaît bien puisqu’il était assistant réalisateur, un an auparavant, sur Coplan ouvre le feu à Mexico de l’Italien Riccardo Freda.
L’une des constantes principales de sa carrière réside dans son engouement à dénoncer, via le cinéma, certaines des injustices les plus criantes de notre société. La décennie 1970 constitue non seulement la période la plus prolifique de sa carrière - il réalise 10 films pour le cinéma durant ces années, dont plusieurs succès tant critiques que commerciaux - mais également celle caractérisant le plus son engagement idéologique que l’on pourrait qualifier schématiquement comme étant "de gauche". Pour Yves Boisset, le cinéma ne sert pas seulement à divertir, mais doit être perçu comme un moyen de pointer du doigt les maux d’une société.
Plusieurs films qu’il réalise témoignent de cette logique, dont la plupart sont inspirés de faits réels, renforçant ainsi la force de son propos : Un condé (1970) dresse un inquiétant portrait de la police, L'Attentat (1972) se centre sur l’étrange affaire Ben Barka, R.A.S. (1973) aborde la guerre d’Algérie en prenant parti contre les dirigeants militaires, Dupont Lajoie (1975) traite du racisme ordinaire le plus répugnant, et Le Juge Fayard dit le shériff (1977) s’insurge contre la corruption des systèmes politique et judiciaire. Variant les genres dans des œuvres qui n’ont, aujourd’hui, rien perdu de leur pertinence, le metteur en scène s’entoure également des plus grands comédiens du moment, de Jean Carmet à Patrick Dewaere, en passant par Annie Girardot, Bruno Cremer, Lino Ventura, Lee Marvin, ou Michel Bouquet.
Si Yves Boisset s’acharne à combattre les dysfonctionnements propres aux structures dirigeantes de la société française, sa vision du monde n’est cependant pas manichéenne. Pour preuve, il refuse de réaliser un film sur Mesrine - figure emblématique de l’insoumission aux pouvoirs en place - avec Jean-Paul Belmondo dans le rôle de l’ennemi public n°1, parce qu’il ne veut pas amoindrir le côté criminel de cet homme, chose qui lui est demandée. Son objectif est davantage de mettre en images des histoires ambiguës, en amenant le spectateur à se poser des questions.
Ses films étant pour chacun d’entre eux de redoutables pamphlets provocants et choquants, Yves Boisset doit se battre contre la censure : l’armée voyant d’un mauvais œil la réalisation de "R.A.S", des groupes d’extrême droite s’insurgeant contre le film "Dupont Lajoie" en ayant recours à la violence, Charles Pasqua - à l’époque secrétaire général du SAC (service d’action civile) - obligeant Boisset à retirer des passages dans Le "Juge Fayard dit le Shériff", etc. Les exemples de ce type sont nombreux. Mais dans la majorité des cas, Yves Boisset reconnaît que ces polémiques sont plutôt bénéfiques, puisqu’elles donnent envie aux spectateurs d’aller voir ses films.
A partir des années 1980, Yves Boisset connaît un succès moindre, ce qui ne l’empêche pas de donner forme à certaines œuvres ambitieuses, fidèles à ses principes. Après s’être attaqué à la pédophilie avec La Femme flic en 1980, il met en scène Allons z'enfants l’année suivante, d’après le roman éponyme de l’antimilitariste confirmé Yves Gibeau. Le film est un échec commercial lors de sa sortie en salles, mais est considéré par son auteur comme le meilleur de sa carrière, ou du moins le plus personnel. Suit notamment Le Prix du danger (1983), film d’anticipation sur les dérives de la télé-réalité, par la suite plagié dans Running Man (1987), avec Arnold Schwarzenegger reprenant le rôle de Gérard Lanvin.
Un peu comme aux Etats-Unis où le Nouvel Hollywood a progressivement fait place au divertissement de masse, le public français tend à se lasser des films engagés vers la fin des années 1970. Yves Boisset commence à se tourner vers la télévision, pour s’y consacrer pleinement après La Tribu, son dernier film réalisé en 1991. Même pour le petit écran, le cinéaste continue de traiter les sujets les plus forts - L'affaire Seznec (1993), L'Affaire Dreyfus (1995), Le Pantalon (1997), Jean Moulin (2002), L'Affaire Salengro (2009), 12 balles dans la peau pour Pierre Laval (2009) - à l’image de ses prises de position restées intactes. En 2011, il publie son autobiographie intitulée "La Vie est un choix", revenant sur les multiples péripéties de sa carrière.
Auteur : Laurent Schenck