Née le 19 juin 1947 à Kaesong, Yuh Jung Youn grandit à Seoul. Alors qu’elle étudie la langue et la littérature coréennes à l’université de Hanyang, elle passe des auditions en 1966 organisées par la chaîne de télévision TBC. Elle abandonne ses études et fait ses débuts d’actrice l’année suivante dans le téléfilm Mister Gong.
C’est grâce sa collaboration avec le cinéaste Kim Ki-young – dont l’œuvre, en particulier La Servante, est citée comme une référence par les jeunes réalisateurs coréens – qui débute en 1971 que la carrière de l’actrice prend son envol. Dans Hwanyeo, elle est une femme fatale qui sème la discorde au sein d’un couple. Le film est un succès public et critique. Elle retrouvera Kim Ki-young l’année suivante dans La Femme insecte, qui est une nouvelle fois un thriller domestique reposant sur un motif récurrent de sa filmographie : celui de femmes fortes, parfois machiavéliques, qui s’immiscent dans le quotidien d’une famille et la vampirisent.
Malgré ces débuts remarqués au cinéma, Yuh Jung Youn met sa carrière entre parenthèses après son mariage avec le chanteur Jo Young-nam en 1975 (dont elle divorce en 1987). Installée un temps aux États-Unis, elle revient vivre en Corée en 1984 et reprend sa carrière d’actrice. On ne la retrouve que deux fois à l’écran jusqu’aux années 2000, dont une devant la caméra de Kim Ki-young qui la dirige une dernière fois en 1995 dans Cheonsayeo aknyeoga doila, où deux femmes projettent de se débarrasser de leurs maris.
Depuis les années 2000, elle mène une carrière prolifique aussi bien à la télévision qu’au cinéma. Si la première lui permet souvent d’endosser des rôles de matriarche dans des séries familiales, elle s’illustre à l’inverse dans des rôles plus ambigus et complexes sur grand écran, comme celui d’une épouse qui délaisse son mari mourant pour enchaîner les aventures extraconjugales dans Une femme coréenne (2003) ; ou celui d’une retraitée contrainte de se prostituer dans The Bacchus Lady (2016). En 2010, elle se glisse dans la peau d’une belle-mère bourgeoise perfide dans The Housemaid, remake de La Servante de Kim Ki-young, comme un clin d’œil à celui qui l’a révélée quarante ans plus tôt.
Actrice fétiche de Im Sang-soo et Hong Sang-soo (HA HA HA et In Another Country entre autres), elle tourne aussi sous la houlette de jeunes talents, comme Kim Yong-Hoon dans le polar Lucky Strike. Si sa participation de 2015 à 2017 à la série des sœurs Wachowski, Sense8, lui permet de se faire connaître au-delà des frontières de sa Corée natale, elle accède à une notoriété internationale en 2021 avec Minari de Lee Isaac Chung. Ce drame indépendant sur une famille américaine d’origine sud-coréenne lui vaut l’Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle, une première pour une comédienne coréenne.
Emilie Schneider