Compagnon de route de la Nouvelle Vague, Gérard Blain commence pourtant par de la figuration dans ce que les Cahiers du cinéma appelleront le "cinéma de papa". Outre son premier rôle dans Le Carrefour des enfants perdus de Leo Joannon (1943) à l’âge de treize ans, on peut l’apercevoir dans Les Enfants du paradis de Marcel Carné, Avant le deluge d’André Cayatte, ou Voici le temps des assassins (1956) de Julien Duvivier, dans lequel il tient son premier rôle d’importance.
C'est d'ailleurs cette prestation que François Truffaut salue dans Arts et qui le fait engager Blain dans son second court-métrage Les Mistons, tourné en 1957, dans lequel l'acteur a pour partenaire sa femme de l’époque, Bernadette Lafont. Rapidement, il devient une figure du mouvement de la Nouvelle Vague française en jouant pour Claude Chabrol, qui lui permet de crever l’écran successivement dans Le Beau Serge, puis Les Cousins, tous deux réalisés en 1958. Dans le premier, il incarne un personnage d’alcoolique blasé pathétique, que Jean-Claude Brialy tente de sauver malgré lui. Dans le second, Blain joue un étudiant en droit montant à la capitale pour terminer ses études, et qui découvre la vie de patachon de son cynique cousin (encore interprété par Brialy, autre figure de la Nouvelle Vague).
Après avoir tourné en Italie, Gérard Blain s’attire les faveurs d’Hollywood. Howard Hawks le débauche pour jouer un jeune rebelle face à John Wayne dans Hatari (1962). Lassé d’un réalisateur qui ne communique pas avec ses acteurs, et d’un star-system qu’il résume à "une vie de con dans une ville de bagnoles, à observer les mesquineries entre acteurs", il refuse de signer un contrat aux Etats-Unis et retourne en France. Les rôles s’enchainent pour Costa-Gavras (Un homme de trop) ou Mocky (Les Vierges), et Blain devient un fidèle du réalisateur italien Gianni Vernuccio. Les deux hommes tourneront ainsi Une garce inconsciente (1966) puis Paolo et Francesca, le dernier film du réalisateur.
De réalisation il en est désormais question pour Gérard Blain. En 1971, il tourne son premier film sous l’influence revendiquée de Robert Bresson. Pour l’occasion également scénariste et dialoguiste, Les Amis est un film en partie autobiographique. La vie de rue de ce jeune garçon orphelin de père n’est pas sans rappeler le cheminement personnel du réalisateur. Le film est plutôt bien accueilli par la critique, sélectionné à Cannes, et obtient le Léopard d’Or au Festival de Locarno 1971 dans la catégorie « Meilleure Première Œuvre». Sur sa lancée, Blain réalise Le Pélican, film sur l’amour paternel, qu’il interprète aux côtés du jeune César Chauveau. Son histoire d’un père prêt à tout pour revoir son fils une dernière fois lui permet une nomination à l’Ours d’or du meilleur film au Festival de Berlin 1974.
Le cinéma de Blain comporte des caractéristiques propres : acteurs amateurs, bande son travaillée en studio, et mise en scène épurée. C’est encore le cas avec Un Enfant dans la foule (1976), nommé pour la Palme d’or à Cannes, l’histoire d’un jeune garçon sous l’Occupation, sans repères et sans famille, qui va chercher l’affection auprès de certains hommes. Le sujet est dur, et Blain le traite pudiquement. Émouvant est le quinquagénaire qu’il présente dans son film suivant Un Second souffle (1978). Désirant par-dessus tout rester jeune, François quitte femme et enfants pour Catherine, de trente ans sa cadette. Après un accident, François se sentira vieux, et tentera de reconquérir sa femme. Le film est pessimiste, tout comme Le Rebelle (1980), film ancré dans son époque : l’histoire d’un jeune banlieusard qui doit subvenir aux besoins de sa mère à l’hôpital, et de sa sœur, menacée du foyer d’accueil. Il est chômeur et va devenir meurtrier, pour contrer les avances sexuelles d’un de ses contacts et lui voler son argent. Les destins tragiques des héros de Blain sont développés dans sa vision désabusée du monde et de la société.
Si Gérard Blain dépeint une histoire d’amour, ce n’est pas une paisible idylle. Ainsi, il transpose Roméo et Juliette dans une banlieue HLM de Roubaix avec Pierre et Djemila (1987). Tiraillés entre préjugés religieux et raciaux, les deux héros vont voir leur amour brisé. Le film polémique obtient une nomination à la Palme d’or du festival de Cannes, mais repartira bredouille. Quoiqu’il en soit, les critiques sont élogieuses et saluent chez le réalisateur l’art de ne pas être tombé dans le film politique. Parallèlement, Blain tourne au cinéma des rôles alimentaires, et tarde à revenir à la direction. En 1995, il co-scénarise avec Marie-Hélène Bauret l’histoire de Jusqu'au bout de la nuit, celle d’un sexagénaire révolté qui, par amour et besoin d’argent commet diverses infractions qui lui coûteront le maximum. Gérard Blain se met en scène, ainsi que son fils Paul Blain dans une mise en scène très épurée.
Toujours contestataire, critique de son travail comme de ceux de ses confrères cinéastes et n’ayant pas la langue dans sa poche, Blain ne s’est pas fait que des amis dans le milieu du cinéma. Il écrit avec son fils entre autres l’histoire d’un fils privé de son père par un assassinat commandité au nom du profit, et qui va tout tenter pour le venger. Cette tranche de vie, intitulée Ainsi soit-il (1999), est la dernière présentée par Gérard Blain, qui l’a écrite alors qu’il était lui-même proche de mourir. Le film reçut globalement un bon accueil, et même un Léopard d’Or au Festival de Locarno, comme son premier film Les Amis, en 1970. Ainsi soit-il, son dixième long-métrage, sera un succès d’estime pour cet acteur-auteur tourmenté, qui laisse au cinéma une œuvre inclassable et toujours d'actualité.
Auteur : Corentin Palanchini