George Cukor fait assurément partie de ces cinéastes qui ont marqué l'âge d'or du cinéma américain, et il s’est notamment fait un nom à Hollywood en transposant bon nombre de pièces de théâtre sur grand écran. Un talent qui lui vient des planches de Broadway, où il fait ses débuts dans les années 20, en tant que metteur en scène. Des planches qu’il quitte au début de la décennie suivante, pour travailler sur les dialogues d’A l'Ouest, rien de nouveau de Lewis Milestone (1930). Quelques petits boulots plus tard, il se retrouve derrière la caméra pour co-réaliser Grumpy (1930) aux côtés de Cyril Gardner.
Sous contrat avec la Paramount, George Cukor se voit contraint de partager la caméra pendant une année et deux longs métrages, jusqu’à ses grands débuts en solo avec Tarnished Lady. Inédit dans les salles françaises, ce drame préfigure toutefois ce qui va devenir l’une de ses marques de fabrique et lui valoir le surnom de "réalisateur à femmes", ses films s’attachant bien souvent une (ou plusieurs) héroïne(s). C’est d’ailleurs le cas de Girls About Town (1931) ou Les Quatre Filles du docteur March (1933) qui lui vaut l’un de ses premiers succès public.
Non crédité pour ses participations, derrière la caméra, à L'Ennemi public n°1 (1934) et No More Ladies (1935), George Cukor s’illustre ensuite avec deux autres adaptations : Roméo et Juliette, d’après William Shakespeare, et Le Roman de Marguerite Gautier, tiré de l’œuvre d’Alexandre Dumas Fils. Il pense rééditer le coup avec Le Magicien d'Oz et Autant en emporte le vent, mais les producteurs en décideront autrement : appelé en renfort sur le premier, suite au renvoi de Richard Thorpe, il aura juste eu le temps de faire supprimer la perruque blonde que devait porter Judy Garland, avant de devoir céder la caméra à Victor Fleming, avant même d’avoir tourner quoi que ce soit. Ce même Fleming qui, cette même année 1939, lui succèdera aux commandes d’Autant en emporte le vent, Cukor ayant du prendre la porte suite à de nombreux désagréments avec le producteur David O. Selznick, que beaucoup désigneront, par la suite, comme le réalisateur officieux du long métrage.
1939 ne sera pourtant pas une année complètement noire pour le réalisateur, puisque c’est à ce moment-là que sort l’un de ses films les plus célèbres : Femmes, qui entérine, une bonne fois pour toutes, sa réputation, avec son casting intégralement féminin. Une distribution dont est pourtant absente sont actrice fétiche, Katharine Hepburn, avec qui il tourné à huit reprises, entre 1932 et 1952. De ces collaborations, la quatrième sera d’ailleurs la plus mémorable. Sorti en 1940, Indiscrétions offre en effet à la comédienne l’occasion de former un trio électrique avec Cary Grant et James Stewart, assortie de sa troisième nomination aux Oscars (sur douze).
Devenu l’un des maîtres de la comédie américaine, George Cukor retrouve Katharine Hepburn deux ans plus tard, sur le plateau de La Flamme sacrée, après avoir dirigé Joan Crawford (Il était une fois) et Greta Garbo (La Femme aux deux visages). Ce coup-ci, et malgré la présence de Spencer Tracy au casting, le duo ne retrouve pas le succès d’Indiscrétions, mais ce n’est que partie remise, puisque tous trois signent un nouveau classique de la comédie en 1949, avec Madame porte la culotte. Entre temps, le metteur en scène aura offert un Golden Globe et le premier de ses trois Oscars à Ingrid Bergman, grâce à Hantise (1944), et commencé à lever le pied.
Très prolifique depuis le début de sa carrière, avec parfois jusqu’à cinq films réalisés la même année, George Cukor réduit en effet la voilure à partir de 1945. Alternant comédie et drame, il ajoute toutefois les noms de Lana Turner, Deborah Kerr ou Teresa Wright à sa filmographie, et s’essaye enfin à la comédie musicale en 1954. Et s’il aura fallu attendre près de vingt-cinq ans pour que ce transfuge de Broadway s’attaque au genre, son coup d’essai se révèle être un véritable coup de maître, dans la mesure où Une étoile est née entre d’emblée au panthéon, fort de ses six Oscars, donc ceux remis à Judy Garland et James Mason, qui intègrent alors la liste des vingt comédiens qui ont obtenu une nomination et/ou le trophée sous la direction du metteur en scène.
Cité à quatre reprises (pour Les Quatre Filles du docteur March, Indiscrétions, Othello et Comment l'esprit vient aux femmes), George Cukor doit, de son côté, attendre la cinquième pour enfin décrocher la timbale et la statuette du Meilleur Réalisateur, avec ce qui restera son film le plus connu : My Fair Lady. Après avoir fait danser Gene Kelly dans Les Girls (1957), puis réuni Yves Montand et Marilyn Monroe à l’affiche du Le Milliardaire (et vu le tournage de Something's Got to Give interrompu par le décès soudain de la comédienne), le metteur en scène poursuit son exploration de la comédie musicale en adaptant la pièce de George Bernard Shaw sur grand écran, avec Audrey Hepburn et Rex Harrison dans les rôles principaux. Fort d’un budget de 17 millions de dollars (le record de la Warner à l’époque), le long métrage en rapporte 72 sur le sol américain, devenant l’un des plus gros succès de l’année 1964.
Âgé de 65 ans au moment de la sortie de My Fair Lady, George Cukor se fait alors plus rare, désertant même les plateaux de cinéma pendant cinq ans. Emmené par Anouk Aimée, Justine (1969) marque son grand retour aux affaires, mais le succès n’est pas au rendez-vous. Et tandis que l’âge d’or du cinéma hollywoodien touche à sa fin, la carrière du metteur en scène marque sérieusement le pas, et elle se termine avec Riches et célèbres (1981). Tourné deux ans avant sa mort, survenue le 24 janvier 1983, le long métrage, porté par Jacqueline Bisset et Candice Bergen, lui permet de finir en réaffirmant cette réputation de "réalisateur à femmes"… contre laquelle il s’est pourtant longtemps battu, allant même jusqu’à déclarer : "Dès que vous avez un peu de succès avec des films portés par des actrices, vous devenez un "réalisateur à femmes". Faites un petit film sentimental, et on ne vous propose que des choses tristes. J’ai été mis et sortis de ces différentes cases, et Dieu sait que les gens ont des limites. Mais pourquoi les rendre plus étroites qu’elles ne le sont ?" Une réplique aussi sophistiquée que les comédies qui ont fait de lui l’un des artisans de l’âge d’or hollywoodien.
Maximilien Pierrette