Klaus Kinski évolue dans un milieu très modeste et est très vite confronté à la délinquance et à la débrouillardise. A tout juste dix huit ans il se trouve mobilisé dans l’armée allemande. Blessé au cours d’un combat, il est fait prisonnier. C’est durant sa captivité qu’il monte sur les planches pour divertir ses camarades. A son retour de la guerre il se lance donc dans le théâtre en se produisant dans des pièces de Jean Cocteau. Son penchant pour la provocation et la fureur est révélé lors d’une représentation de La Voix humaine en 1947. Il y interprète une femme désespérée qui se confesse en une longue tirade tragique alors qu'elle doit trouver le courage de renoncer à son amant. La pièce fait scandale.
Il fait ses premiers pas au cinéma dans les années 50. Il apparaît notamment dans Le Docteur Jivago puis dans plusieurs séries B mais ce sont deux westerns spaghetti qui le font connaître : il joue tout d’abord devant la caméra de Sergio Leone dans Et pour quelques dollars de plus dans lequel il campe le bossu ultraviolent, membre d'un gangs de tueurs affrontant Clint Eastwood, puis dans Le Grand Silence de Sergio Corbucci qui sort en 1968. Le film relate les déboires d’une petite province de l'Utah, aux Etats-Unis. L’action se déroule en 1898 par un froid extrême. L’environnement hostile pousse alors les hors-la-loi, les bûcherons et les paysans à piller les villages. Kinski y interprète Tigrero, un chasseur de prime, à la fois cruel et doucereux, payé pour les abattre. Mais Pauline, dont le mari a été tué par Tigrero, engage, Silence (Jean-Louis Trintignant), un pistolero muet, pour la venger. Un combat s’engage entre les deux guerriers. Le regard de Kinski - ses yeux sont filmés en gros plan comme deux carats inquiétants¬-, est particulièrement mis en valeur lors des face-à-face et annonce sa démesure (frôlant la démence) qu’il cultivera pour les personnages imaginés par Werner Herzog.
Dans les années 1970, il multiplie les films de série B et peine à se faire connaître du grand public. Il campe tour à tour le Marquis de Sade dans De Sade : Les infortunés de la vertu revu et corrigé par Jesus Franco (1969), puis on le retrouve en monstre dans Les Nuits de Dracula (1970). Il passe allégrement de l’épouvante à l’érotisme multipliant les films aux personnages hauts en couleur. Il repasse devant la caméra de Jesus Franco pour une interprétation de Jack l'éventreur en 1976. Il y revêt les habits du docteur Orloff assoiffé de vengeance après avoir été abusé par une prostituée. L’ambivalence du personnage rappelle le rôle qu’il endossera quelques années tard, en 1979, pour le Nosferatu Fantôme de la Nuit de Werner Herzog. C’est le réalisateur allemand qui le remarque dans un téléfilm. Il est alors impressionné par la présence de l'acteur qui n'apparaît pourtant qu'au second plan. Il relate l’anecdote de cette "révélation" dans le dernier film/documentaire qu’il lui consacre (Ennemis intimes) sorti en 1998. A cette occasion, il explique combien il a été frappé par l’énergie et l’inspiration avec lesquelles Kinski ouvre les yeux après une sieste. Cette simple scène suffit à Werner Herzog pour lui offrir son premier grand rôle, celui d’Aguirre. C’est en feuilletant un manuel d’histoire que le réalisateur a l’idée du film. Cinq siècles plus tôt, dans une région hostile située sur les flancs de la cordillère des Andes, une troupe de conquistadors espagnols se lance à la recherche de l'eldorado, une cité mythique censée regorger d'or. Ce tournage au budget très limité débute et la colère de dieu ne tarde pas à éclater au grand jour. Kinski se moule avec une passion telle dans le corps de ce conquistador espagnol fantasque et brutal qu’il refuse de se plier aux ordres du réalisateur. Il sera désormais célèbre pour ses coups de colères. Il entre ainsi dans la légende du cinéma et multiplie les fresques épiques épousant au plus près la personnalité de héros à l’ambition trop large. Les rôles de Woyzeck (1979) ou encore de Fitzcarraldo (1982) semblent taillés pour lui : à l'aise aussi bien dans le rôle d'un écorché vif que dans celui d’un fou d’opéra, Werner Herzog lui offre la possibilité de se dépasser. Cela sera le cas lors du tournage fou de Fitzcarraldo qui met donc en scène un passionné d'opéra dont le but ultime est de monter une pièce au milieu de la jungle. Ces deux rôles confinant à la folie confirment le talent du comédien à l’aura indubitable. Il réitère une dernière fois sa collaboration avec son mentor en 1988 pour Cobra Verde.
Entre temps, Kinski tourne beaucoup mais la plupart de ses films obtiennent un succès limité ou confidentiel : on le voit tour à tour en Creature dans le film d’horreur de William Malone ou encore dans une petite production américaine de David Schmoeller. Il y interprète un fils de nazi exilé aux Etats-Unis qui a pour loisir d’espionner la gent féminine avant de l’abattre. Pour couronner cette intrigue de mauvais goût, le personnage de Karl Gunther a installé un petit camp de la mort dans son grenier dans lequel il a emprisonné une déportée. Kinski y mime la tristesse insondable lors de ses séances de roulettes russes, où il lâche un "Tant pis" désabusé lorsque le percuteur de son arme claque dans le vide aussi bien que la perversité lorsque son visage s’illumine dangereusement alors qu’il se prend à épier ses locataires. Mais ces films de second choix signent en réalité la fin de sa carrière puisque Werner Herzog refuse de lui prêter main forte pour son projet de biopic signé Kinski Paganini. L’acteur se charge alors de l’entreprise, et signe son premier et dernier film, aux teintes expérimentales, qui rend hommage au violoniste et compositeur virtuoses. Ce film, qui sort en 1989, s’avère testamentaire puisque Kinski meurt deux ans plus tard d’une crise cardiaque. Dans ce premier film il y détenait le rôle titre et évoquait un artiste dévoué corps et âme à son art, insistant sans cesse sur son tempérament excessivement passionné mais aussi sur les controverses et scandales qui avaient pu ternir sa réputation. Un film étrangement autobiographique…