Jacques Demy a 13 ans lorsqu'il se procure sa première caméra Pathé-Baby dans une boutique du fameux passage Pommeraye, à Nantes. Son père, gérant d'un garage, et sa mère, coiffeuse au tempérament fantasque, lui ont transmis le goût du spectacle dès son plus jeune âge -à 4 ans, il concevait déjà des spectacles de marionnettes. Ayant bricolé un studio dans le grenier familial, il réalise de façon ingénue et ingénieuse plusieurs films d'animation. Marqué par Les Dames du Bois de Boulogne, il suit les cours du soir des Beaux-Arts, où il fait la connaissance de son futur décorateur Bernard Evein.
De passage à Nantes, le réalisateur Christian-Jaque, impressionné par les travaux du jeune Demy, convainc son père, réticent, de le laisser partir à Paris pour intégrer l'école de photo et de cinéma de Vaugirard, en 1949. Il devient bientôt l'assistant de Paul Grimault, maître de l'animation, et de Georges Rouquier, l'auteur de Farrebique, qui produit son premier court métrage professionnel, le documentaire Le Sabotier du Val de Loire en 1955. Deux ans plus tard, il passe à la fiction avec Le Bel Indifférent, d'après Cocteau. Il présente ce court en 1958 au Festival de Tours, où il rencontre celle qui deviendra sa compagne et complice, Agnès Varda.
Proche du groupe de la Nouvelle Vague (il apparaît même dans Paris nous appartient de Rivette et Les 400 coups de Truffaut), Demy fait appel au producteur d'A bout de souffle, Georges de Beauregard, pour financer son premier long métrage, Lola, en 1960. Portrait pétillant d'une danseuse de cabaret incarnée par Anouk Aimée, ce film sur les aléas du destin (thème cher au cinéaste) marque les débuts de la collaboration de Demy avec Michel Legrand. Après La Baie des anges, avec Jeanne Moreau accro au jeu, tous deux se lancent dans un pari fou, Les Parapluies de Cherbourg, un film entièrement chanté. Cette histoire d'amour contrariée sur fond de Guerre d'Algérie, qui révèle Catherine Deneuve, décroche le prix Louis-Delluc et la Palme d'Or à Cannes en 1964.
Le tandem Demy/Legrand connait un nouveau succès en 1967 avec Les Demoiselles de Rochefort, comédie musicale allègre qui réunit Deneuve, sa soeur Françoise Dorléac et Gene Kelly. Parti s'installer quelque temps aux Etats-Unis, le réalisateur signe pour la Columbia Model Shop (1968), ou les aventures de Lola en Californie. Auteur d'un cinéma "en-chanté" (le mot est de lui) mais non dénué de gravité, Demy revisite le conte Peau d'âne (1970), la légende du Joueur de flûte (1972), le manga Lady Oscar (1978) ou le mythe d'Orphée (Parking, 1985). Utopiste et féministe, il imagine Mastroianni enceint dans L' Evénement le plus important depuis que l'homme a marché sur la Lune (1973).
Jacques Demy paie le prix de son audace, consacrant beaucoup d'énergie à de nombreux projets qui n'aboutissent pas, de Skaterella (Cendrillon en rollers, produit par Coppola) à une comédie musicale moscovite. Après un téléfilm inspiré par Colette en 1980, il s'attelle à Une chambre en ville (1982), nouveau film chanté qui lui permet d'évoquer ses origines ouvrières. Soutenue par la critique, cette oeuvre sombre est boudée par le public. Il signe en 1988 son ultime long métrage, Trois places pour le 26 avec Yves Montand (1988), lettre d'amour au monde de la scène. Après sa disparition en 1990, le cinéma de Demy, parfois incompris de son vivant, sera largement réévalué. Le public le redécouvre entre autres grâce aux films que lui consacre Varda (Jacquot de Nantes, L'Univers de Jacques Demy), tandis que les cinéastes des nouvelles générations, de Pascale Ferran à Christophe Honoré, revendiquent l'influence d'une oeuvre unique, alliant couleurs et noirceur, féerie et mélancolie.