MataH
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4,5
Publiée le 13 décembre 2024
Un très bon film, un récit initiatique très bien mené.
Dans Chien de la casse, l'évolution de la perspective du film sur l'éthique de vie est remarquable. La façon d'être de Miralès, dont les sarcasmes insupportables de suffisance, voire de sadisme, révèlent petit à petit une exigence au fondement solide et souvent justifié ; une clairvoyance réelle et une réelle attention aux déshérités, de son ami Dog à sa mère à Bernard un simple d'esprit à sa vieille voisine musicienne. Il regarde et il voit les gens. Le problème est qu'il essaie de les dresser. Il "dresse" son ami Dog, le chien de la casse, comme il dresse son propre chien, en exigeant une obéissance absolue et une loyauté sans défaut.

Il y a la même courbe d'empathie exigeante par rapport à la mère, "cas social" aussi si on veut, qui dépend complètement de lui, et non l'inverse, et à qui il permet de développer un talent réel et a priori bien caché, comme on le voit dans l'évolution de son tableau entre son premier stade et son accomplissement lorsqu'il est exposé dans le restaurant. Mais qui n'a pas le droit sous peine de rejet de préférer les carbonara à la crème plutôt que dans leur recette originale à l'œuf cru.

Cette tension exacerbée qu'il impose entre humanité et franchise grinçante explique aussi la trajectoire d'Elsa, lorsqu’elle part finalement retrouver son ex-partenaire qui, dit-elle au début, est exactement comme Miralès. Elsa est belle, intelligente, indépendante et affirme sa personnalité. En fait, elle correspond à ce qu'il cherche, et la douleur de Miralès ne vient pas seulement de ce que Dog aime Elsa et le sacrifie à elle, ce qui est déjà beaucoup, c'est qu'elle ait choisi Dog (ou selon Miralès, qu'elle prétend l'aimer), alors qu'elle tient Miralès fermement à distance sans même vouloir le (re)connaître. Elle ne l'aime pas. La douleur vient des deux fronts et elle est probablement teintée d'humiliation chez cet homme orgueilleux, une des raisons pour lesquelles il se déchaîne sur Dog.

Le film est la quête d'amour d'un écorché vif, bien sûr. Mais beaucoup plus que ça, c'est un récit initiatique. Miralès poursuit le parcours chamanique et spirituel d'un "guerrier" - d'ailleurs non seulement il pratique les arts martiaux mais il a une intense discipline personnelle. Comme dans le livre "Jarhead" qu'il lit quand il rentre chez lui pour lécher ses plaies émotionnelles, il doit apprendre à équilibrer son esprit de guerrier et son sens profond de l'humanité. Sa transformation initiatique montre ce qu'il apprend durant ce passage difficile de sa vie et comment il réaligne son chemin. La triple claque magistrale que la vie lui envoie semble lui apporter la dose d'humilité qui lui manquait pour opérer sa transformation.

Attention SPOILER :
Donc on le voit accepter très simplement la preuve d'amour que lui envoie Dog, et surtout ce métier de cuisinier de village qu'il méprisait au départ mais dont il réussit à faire un art. Les derniers plans le montrent d'ailleurs comme sur une scène sur laquelle l'artiste démontre son talent, le restaurant étant "le cadre" où cette œuvre d'art est mise en valeur, comme les peintures exposées sur les murs : il est en position centrale de l'image, la lumière est sur lui et tout autour l'éclairage est tamisé. Il crée avec soin, prenant le temps de faire de chaque assiette une œuvre d'art, penché sur ce qu'il fait. Quand il y travaille c'est le secret, il tourne le dos à la salle pour œuvrer à l'alchimie. Mais quand l'œuvre est réalisée, il se tourne vers l'extérieur pour mettre la touche ultime de décoration face à la salle, et ponctue par le point final de la sonnette. C'est sa signature ou son salut. Pas une fois il ne regarde les clients, il est complètement absorbé par ce qu'il fait, comme par tout ce qu'il fait d'ailleurs.
De plus il est enfin complètement intégré (plutôt qu'accepté) dans ce collectif d'amis, où l'on voit réalisé le projet discuté au début dans le film - son ami a créé le restau-concept dont il parlait, et Miralès a finalement compris et accepté la valeur d'en être le clou du spectacle, ce qui lui permet d'exercer son talent. La mutation est faite, il a réussi son initiation.