C'est à la fois nul et très bien, comme pas mal de films de Godard. Des scènes franchement longues et inutiles où on a l'impression qu'il ne sait pas ce qu'il filme, et des scènes géniales que l'on ne trouverait dans aucun autre film (la scène de l'orgie, l'orchestre qui joue la B.O dans le garage à la fin du film). On se dit à certains moments qu'il faudrait pas grand chose pour que ça marche mieux, un peu plus de fluidité, un peu moins de scènes inutiles, des dialogues plus audibles et moins littéraires, enlever quelques ralentis (qui sont omniprésents), ne pas faire que Jacques Dutronc soit un père pédophile (ok peut-être que c'est pour dire qu'il est totalement décadent, mais c'est trop violent, on ne peut pas prendre ça à la légère comme ça - ou alors le pouvait-on vraiment à cette époque ? - perso ça me sort du film). Huppert est de loin ce qu'il y a de mieux dans le film, malheureusement elle n'arrive vraiment qu'au bout d'1 heure. Son personnage brille parce qu'il est simple, réaliste, blasé sans en faire trop, en d'autres termes il est juste, là où Dutronc et Baye (qui peuvent être de très bons acteurs par ailleurs) cabotinent. On sent que Godard ne sait pas vraiment ce qu'il veut leur faire dire, alors ça tourne en rond, mais avec le personnage de Huppert c'est limpide et très vrai. Devant ce genre de film on se prend tour à tour à haïr puis aimer Godard, puis le haïr de nouveau, etc. C'est un phénomène fréquent quand les films sont inégaux, on ne peut pas les apprécier sans en accepter l'imperfection foncière, sans les voir comme des essais, des expériences pleines de défauts et en même temps capables de fulgurances inouïes comme la scène du café dans Deux ou trois choses que je sais d'elle, celle des jeux de lumières avec les poèmes d'Eluard dans Alphaville, ou encore celle du supermarché dans Tout va bien... Tout ça donne une place étrange au spectateur, entre retrait et investissement spontané lors de scènes sublimes. On retrouve ici le même équilibre. Bien sûr il y a des chefs-d'œuvre, A bout de souffle, Le Mépris, Pierrot le Fou (et peut-être d'autres que je n'ai pas encore vu), qui ne souffrent de presque aucun défaut, où tout semble fluide et évident, mais dans l'ensemble aimer Godard c'est l'aimer malgré lui, et on ne peut rien changer à ça - il faut le voir tel qu'il est, et surtout ne pas le glorifier, ni l'oublier, ne pas le prendre pour l'alpha et l'omega du cinéma (il y a bien d'autres réalisateurs d'exceptions et beaucoup moins malaimables) mais ne pas commencer non plus à ne pas le prendre au sérieux et à croire qu'on peut écrire une histoire du cinéma en oubliant son nom.