C'est sans doute un des plus beaux films de Yasujiro Ozu, une dentelle subtile sur le temps qui passe, les enfants qui s'en vont -et aussi une réflexion sur l'amertume de ceux qui ont fini la guerre dans le camp des perdants. Le fier Japon, le Japon arrogant a perdu la face. Le fils du Soleil s'est déconsidéré en s'alliant avec les crapules. Hirayama (le très touchant Chishu Ryu, avec son éternel sourire qui dissimule ses sentiments) a été commandant de vaisseau, pendant cette guerre, et lorsqu'il écoute des chants militaires avec un ancien compagnon d'arme, on ne sait ce qu'il ressent le plus: nostalgie? gêne?
Alors, on se réunit le soir, après le bureau, chez une aimable restauratrice, et on boit. Du saké, mais pas que: de la bière, énormément, du whisky, aussi. Enfin: les hommes boivent. Les femmes travaillent, maintenant, elles sont secrétaires, employées de bureau, en escarpins, jupe droite et chemisier. Mais le soir, elles rentrent vite chez elles, remettent vite leurs tabis, s'occupent de la maison, et lorsque l'homme rentre, enfin, prennent son chapeau et son porte document et se précipitent pour leur servir le diner: au mari, père, frère.... Ce sont les femmes qui ont porté le Japon, après l'effondrement, nous montre Ozu, lui aussi un vrai féministe. Et quand elles disent d'un ton peu amène "tu as encore bu!", l'homme ne peut que bredouiller "mais non, mais non, à peine"
Hirayama, veuf, a eu trois enfants. L'aîné est marié, il tire le diable par la queue, et, comme les anciens, il est immature. Lui, ce n'est pas le saké (enfin, pas que...), il rêve de racheter ces clubs de golf bien chers qui lui assureront un statut social.
C'est la très jolie Michiko (Shima Iwashita) qui, du haut de ses 24 ans, tient la maison paternelle.
Hirayama avec ses amis inséparables, Kawai (Nobuo Nakamura) et Horie (Ryuji Kita) qui vient de se remarier avec une jeunette, ce qui est l'objet de vannes incessantes de la part des camarades.... (un "esthète le jour, cochon la nuit" a fait éclater de rire toute la salle) ont invité à dîner un de leurs anciens professeurs tombé dans la dèche. Lorsqu'ils raccompagnent chez lui, dans un quartier misérable, le vieillard rond comme une queue de pelle, ils tombent sur sa fille, qui n'a jamais eu de vie à part s'occuper de son père, et Hirayama comprend que cela ne doit pas être le destin de Michiko. Il faut donc la marier. Car bien entendu, il serait hors de question qu'une jeune fille bien élevée fasse des rencontres par elle même: ce sont les parents et les amis des parents qui sont chargés de cogiter pour trouver chez les amis d'amis le jeune homme bien sous tous les rapports qu'on se chargera de faire rencontrer...
C'est tout, et c'est sublime. Rien n'est dit, et tout est ressenti. Quelle leçon de cinéma!
Et toujours avec le sourire, cette bonne humeur de façade qui nous rappelle le comédies italiennes de la fin du néo-réalisme, impression accentuée par la musique guillerette, ni d'orient ni d'occident, qui accompagne les images.