Ce qui m'a d'abord marqué dans le cinéma d'Ozu, c'est sa façon de mettre en scène, avec autant d'intelligence que de finesse, les liens familiaux, l'ordre établi dans une famille ainsi que les cicatrices qu'elles peuvent générer.
Gosses de Tokyo ne déroge pas à cette règle, et ici il aborde cela par le prisme de l'enfance en mettant en scène deux frères qui ne parviennent pas à s'imposer dans une nouvelle école, et devant faire face à la morale du père. Il écrit son scénario avec autant de simplicité que de finesse, n'en faisant jamais trop et proposant un déroulement fort intéressant avec des personnages qui le sont tout autant, avant d'axer son oeuvre sur le conflit entre un père et ses fils.
Cette opposition sera forcément fragile, car familiale, chaque mot et regard peut provoquer une cicatrice éternelle, et c'est ce qu'on ressent lorsqu'on voit l'oeuvre. Par le prisme de cette opposition, il va aussi s'intéresser à la situation sociale, les difficultés d'une nouvelle vie et le respect dans la société, que ce soit au sein d'un environnement familial ou dans son travail. Il faut savoir s'accepter, c'est simple sur le papier mais pas toujours dans la vraie vie, et ça, Ozu le montre avec une très rare finesse et surtout une simplicité qui est clairement la bienvenue.
De cette simplicité découlent d'abord des émotions, et c'est là le plus important, Ozu à une capacité incroyable de véhiculer cette émotion par le biais de simples moments de vies, quelques gestes ou regards qui en disent parfois bien plus que de simples mots. L'évolution du récit est d'ailleurs remarquable, plus on avance, plus les tensions se révèlent fortes mais vont être traitées d'une manière similaire, avec aussi une dose d'humanité, de tendresse mais aussi d'humour, grâce surtout aux deux gosses et leurs inoubliables petites bouilles.
Gosses de Tokyo bénéficie aussi d'un savoir-faire certain du futur auteur de Voyage à Tokyo, âgé ici de 29 ans, que ce soit dans sa science du détail ou dans ses plans et l'utilisation de la caméra, comme en témoigne ce remarquable travelling montrant un groupe d'employés bailler. Ce conflit générationnel bénéficie aussi d'une jolie photographie en noir et blanc, ainsi que de très bons comédiens, que ce soit le père ou évidemment les deux enfants, qui ne tombent jamais dans le piège des interprétations théâtrales qu'offre parfois le muet.
Ozu propose avec Gosses de Tokyo un film tout simplement merveilleux, d'une simplicité qui n'a d'égal que son émotion, tendresse et humanisme, et il évoque la famille, les combats générationnels ou l'estime de soi avec autant de richesse que d'intelligence.