Il a ces films, qui parviennent à s'approcher au plus près des épreuves, des responsabilités, des peines et des joies du quotidien, de la vie de tout un chacun. Gilbert Grape, adapté du roman de Peter Hedges, fait parti de ceux-ci. Il est sujet d'une fresque familiale, évoluant dans les décors ternes d'Endora, une ville où rien ne se passe. Après le suicide du patriarche, Gilbert Grape doit assurer le confort de sa famille, oubliant jusqu'à vivre sa propre vie. Un quotidien fait de responsabilités et de dévotion, entre son boulot à l'épicerie locale, sa mère atteinte d'obésité aiguë suite à une dépression, totalement dépendante de ses enfants, son jeune frère Arnie handicapé mental qui doit être constamment sous surveillance, sa sœur aînée qui endosse le rôle maternel et une autre sœur en pleine adolescence. Parfois, le temps d'une livraison, le jeune homme se laisse emporter dans les plaisirs d'une relation charnelle et secrète avec Betty, une femme au foyer qui trouve en lui un peu de piment et de saveurs à apporter à sa vie trop rangée. Gilbert ne se plaint pas, mais semble être effacé et sans vitalité dans cette existence morose qui le rattache sans cesse à des responsabilités filiales qu'il n'a pas choisi. Chaque année à la période des vacances, il regarde avec son frère Arnie passer les caravanes, les regardant s'éloigner vers des lieux qu'il ne verra sans doute jamais. Mais cette année là, une caravane tombe en panne dans la petite ville isolée, avec à son bord une jeune femme, Becky (rayonnante Juliette Lewis), et sa grand-mère. La rencontre des deux jeunes gens va marquer un bouleversement dans la vie de Gilbert, Becky lui apprenant à penser à lui, et pas constamment aux autres. Leur amour naissant finit par l'éloigner de sa famille, Gilbert étant alors déchiré entre l'envie de vivre sa vie et ses devoirs familiaux. Malgré l'apparente simplicité de son scénario, le film de Lasse Hallström est un subtil mélange entre tendresse, émotion, humour et cynisme. Grâce à la qualité de ses dialogues et à la sincérité des sentiments, le long-métrage évite à tout instant de sombrer dans le mélo et le misérabilisme. L'ensemble sonne vrai, sans artifice, à l'image des personnages qui parviennent tous à trouver leur place dans le récit. Même Gilbert, que l'on aurait pu être tenter d'angéliser au possible, fait preuve par instant de méchanceté, notamment lorsqu'il parle de sa mère, où lorsqu'il encourage les gamins du coin à se moquer d'elle. On pourrait reprocher à Gilbert Grape ses quelques longueurs inutiles, dû sans doute à son rythme lent et son absence d'intrigue forte. Néanmoins, on est vite tenté de mettre ce détail à la trappe face aux scènes fortes dont le long-métrage bénéficie. On évoquera la sortie de la mère au commissariat, affrontant pour la première fois les regards des autres qui la dévisagent tel un monstre, ou encore la scène où Gilbert, excédé, frappe son frère Arnie, ainsi que la scène finale. Dommage que la romance entre Gilbert et Becky donne juste l'impression d'être effleurée, aussi légère et passagère qu'un simple amour d'été. Mais après tout, est-ce que ce n'est pas de ça qu'il s'agit? En fait, ce qui capte réellement notre attention tout au long du film, c'est bien Arnie. Attendrissant, agaçant, drôle, touchant, sensible et vulnérable, l'autisme d'Arnie fait de lui un personnage imprévisible et innocent, auquel on s'attache rapidement. Il faut dire que le très jeune Leonardo DiCaprio démontre ici un jeu complexe et réellement incroyable, apparaissant comme authentique et très juste, évitant à tout moment de tomber dans le ridicule et la caricature. L'un des premiers rôles pour cette future icône d'Hollywood, et sans doute sa performance la plus marquante. Son partenaire de jeu, Johnny Depp, étoile montante du cinéma à l'époque, n'est pas non plus en reste. L'acteur dévoile ici un jeu très convainquant, tout en sobriété et en réserve comme le suggère le rôle de Gilbert. La relation fraternelle de leurs personnages est réellement saisissante, même si elle est loin d'être idéalisé. On comprend que s'occuper d'Arnie est loin d'être tout les jours aisé, comme l'évoque l'une des premières répliques du film : "Arnie, on a des fois envie qu'il vive, et des fois non." Dans le rôle de la mère, Darlene Cates est réellement émouvante. Si on aurait tendance à éprouver de l'antipathie à son égard dans un premier temps, on comprend peu à peu sa profonde détresse, sa honte d'être devenue ce qu'elle est, de ne pas pouvoir s'occuper de ses enfants et pire, être un boulet pour eux. Voilà un film tout en simplicité, mais fort et émouvant, qui appelle au droit à la dignité de chacun, à la différence, et met en avant ces héros ordinaires, et leurs sacrifices quotidien.