À l'origine, il y a une courte nouvelle de Cornell Woolrich (alias William Irish), parfaitement adaptée par le scénariste John Michael Hayes dont c'est la première collaboration avec Hitchcock. Suivront trois autres films associant les deux hommes : La Main au collet, Mais qui a tué Harry et L'Homme qui en savait trop. La matière dramatique de Fenêtre sur cour est un petit bonheur d'équilibre, délicieux cocktail d'humour et de suspense, composé de dialogues souvent irrésistibles (notamment la conversation sur le mariage moderne, au début du film). Structurée en mode huis clos, cette brillante comédie policière a d'abord constitué un défi technique pour Hitchcock : il a fallu construire un immeuble entier dans les studios Paramount, aménager une dizaine d'appartements et surtout orchestrer une narration fluide en partant de l'appartement du personnage principal, puis en essaimant vers la cour d'immeuble, de fenêtre en fenêtre. Le réalisateur a ainsi déployé une virtuosité technique qui n'a d'égale que sa direction d'acteurs. Tout est habile, lentement et posément maîtrisé. Le divertissement est élégant, amusant, captivant. On y retrouve deux thèmes fétiches d'Hitchcock : la dialectique innocence/culpabilité et le jeu sur les apparences, trompeuses ou pas, en matière criminelle comme en matière amoureuse. Le tout traité avec une ironie qui trouve son expression la plus jubilatoire dans la conclusion du film, ou plutôt dans les conclusions de chaque petite histoire développée au sein des appartements observés. Mais ce qui fait réellement de Fenêtre sur cour un grand film, ce qui transcende ce divertissement au demeurant excellent, c'est la double mise en abyme proposée par son dispositif narratif. D'une part, Hitchcock fait du personnage central un double du spectateur. Ce que L. B. Jeffries contemple dans la cour d'immeuble et les appartements est ce que nous contemplons à l'écran. En portant son intérêt d'une fenêtre à l'autre, il fait aussi comme le spectateur de télévision zappant d'une chaîne à l'autre. Le réalisateur nous tend ainsi un miroir, nous confronte malicieusement à notre propre voyeurisme, notre propre désir d'intrigues romanesques, qui devient parfois addiction, en brodant sur la notion de spectacle. D'autre part, Hitchcock se met lui aussi en scène, en quelque sorte, à travers ce même personnage central, installé dans un fauteuil face à une scène, un téléobjectif à la main, imaginant des drames dans un esprit obsessionnel et logique... Ou comment faire du métacinéma de façon intelligente et ludique à la fois. Enfin, la qualité du film doit beaucoup au charme de ses interprètes principaux : James Stewart et ses yeux bleus, Grâce Kelly et sa blondeur, son élégance, son classicisme, pure incarnation du fantasme personnel et professionnel du réalisateur... On notera aussi que le personnage du voisin suspect est interprété par Raymond Burr qui s'illustrera par la suite dans des séries TV, incarnant notamment L'Homme de fer et Perry Mason.