Sorti en 1948, La corde est le premier film en couleur d’Alfred Hitchcock. Ne se contentant pas de cette innovation, le réalisateur se fixe le défi de tourner la quasi-intégralité du film en un plan unique (ce dernier étant toutefois séquencé régulièrement par des raccords effectués notamment sur les surfaces sombres des costumes). Cela a pour effet de donner au spectateur l’impression d’assister à une œuvre mi-théâtrale mi-cinématographique.
Sur le fond, le film narre le défi du « crime parfait » que se lance deux hommes, d’organiser une petite sauterie dans le salon où ils viennent d’assassiner un homme, qui est le dénominateur commun des différents invités. Le synopsis se prête donc particulièrement bien aux moments de tension sur l’éventuelle découverte du corps, avec pour point culminant les quelques minutes où, les convives absorbés dans une discussion, la bonne retire progressivement et range tout ce qui ornait le coffre contenant le corps, afin d’y ranger ensuite des livres.
Les deux assassins, dont l’homosexualité est fortement suggérée mais jamais explicite (époque de réalisation oblige), et aux deux personnalités opposées, constituent le principal intérêt du film. Si l’un est particulièrement à cran, interprétant chaque action ou mot comme une accusation, le second, plus charismatique, flegmatique, et définitivement cynique, jouit de la situation, se complaisant même à des risques inconsidérés (sous-entendus relativement explicites, remise de la corde de strangulation au père de la victime…). Cette forte personnalité se réfugie sur les considérations philosophiques nietzschéennes pour asseoir son assurance et justifier son crime, distinguant les élus dont il se réclame, des autres hommes ; un discours d’attraction-répulsion qui dérangera tant les invités de la soirée que les spectateurs.
Si la corde n’est pas aussi fort que d’autres films du maître, il n’en demeure pas moins extrêmement intéressant, tant par la gageure technique précédemment évoquée, que par la réflexion qu’il suscite sur l’humanité. Ce fond passionnant est néanmoins malheureusement quelque peu gâché par le revirement intellectuel du professeur invité, bienséance oblige probablement.