Bon film d'Alfred Hitchcock, et même presque très bon film, s'il ne jouait pas tant sur le coté "dissertation de philo", comme je vais l'expliquer... Mais l'idée est excellente (adaptation d'une pièce de théâtre, tiré lui-même d'un fait divers) : deux étudiants, Brandon (John Dall, bon dans son rôle d'ignoble abruti) et Philip (Farley Granger moins bon, exagérant trop son côté poule mouillée au fur et à mesure du film), décident de tuer un de leurs camarades, Dave, sans aucune raison et pour ainsi dire pour l'expérience, et organisent à la suite de ce crime un dîner avec leurs proches sur le lieu même de ce crime, où le père et la fiancée de Dave sont présents parmi d'autres. Servir, sur le coffre dans lequel repose le cadavre, un buffet aux proches de Dave, quelle oeuvre d'art ! Quelle ( - non pas ignominie, puisqu'il s'agit d'amoralisme mais) beauté !
En somme, un huis clos très bien monté, amené par le premier plan/générique du film en extérieur, à la suite duquel tous les autres plans du film se dérouleront dans l'appartement de Brandon et Philip (oui, à travers tout le film coule une cordiale atmosphère d'homosexualité, mi-feinte mi-suggérée). L'espace confiné dédié au film agit très bien sur l'effet général : le spectateur est coincé, comme contraint à poursuivre l'odieuse scène que construisent les deux meurtriers. Bref, sentiment certain de gêne face à quelque chose à quoi l'on s'oppose fondamentalement, mais qui pourtant se construit très bien, et surtout rationnellement. Cela dit, faut pas déconner, le film n'est pas pour autant suffocant, simplement prenant mais sans prendre vraiment les tripes. Le boss du suspense, oui, mais en mode petit bras sur ce coup-là. Gros boulot quand même sur la forme du film, avec seulement 11 plans (!!!), produisant assez bien l'illusion d'une grande continuité, d'une grande plage unique sur laquelle viendrait se jouer une tragédie moderne. Côté son, pas grand-chose à se mettre sous la dent (à part deux trois incursions au piano par Philip ; mais on voit très bien qu'il ne joue pas, et je déteste ça).
Et pour une bonne raison, c'est que le film penche vers un dilemme, une lutte, une tension morale quasi intellectualiste (et donc quasi exclusivement discursive, et non musicale ou artistique) : le film est trop une dissert' pour être un chef-d'oeuvre. En gros, ça se résume à une idée assez simple, mais pas inintéressante (parce que nietzschéenne, bien entendu) : si rien ne compte dans la vie que l'intensité et l'accroissement de l'intensité (le plaisir n'étant pas disjoint de la problématique, se rajoutant comme un couronnement de l'intensité), le crime n'est-il pas une des sources les plus importantes d'inetnsité, de plaisir, et donc de vie ? Autrement dit, amoralisme radical du côté des deux étudiants tueurs (le crime n'est pas une chose immorale pour une certaine élite d'êtres supérieurs, il est par-delà bien et mal, comme disait l'autre, une simple affirmation de force sur les êtres inférieurs).
Contre cette machinerie infernale (limite nazie, il faut bien le dire, mais certainement pas nietzschéenne) se dresse la figure de Rupert Caldwell (James Stewart, très bon), l'ancien prof' (sûrement de philo) de tous les étudiants en question, qui découvre peu à peu le massacre intellectuello-hallucinatoire des deux fous faux-nietzschéens. Et ce qui est drôle, ou en tous les cas bien réussi, c'est qu'il résout l'affaire sur le terrain même des deux criminels : sur le plan de la morale, de la mauvaise conscience. Pour rentrer un peu dans les détails, Brandon assume le crime-intensité pas bêtise, mais Philip regrette, se confond de plus en plus dans la mauvaise conscience, la culpabilité et l'alcool. Bref, alors que le crime devait prouver l'amoralisme d'êtres supérieurement intelligents, c'est en fait la morale (mauvaise conscience jusqu'à l'aveu) qui prouve la bêtise du crime en question.
Bon renversement sur le plan des idées, c'est vrai. Et l'apothéose de ce renversement, la clé de voûte de l'édifice, le point de rupture et de bascul aussi, c'est la corde, évidemment, qui a tué, qui est rendue publique par les deux meurtriers dans un ultime excès ironique, qui déclenche la certitude chez le prof de l'événement en question, et qui symbolise la mort prochaine des deux tueurs, étrangleurs et futurs pendus. Tout est lié dans le film, dans le fond (comme élément-clé du renversement que je viens de décrire) comme dans la forme (j'ai déjà parlé de le semblant de continuité du film, comme un grand plan-séquence ficelé d'une heure et demi), par une simple corde. Brillant.
Bonne dissert', mais pas chef-d'oeuvre (finalement il manque du vrai nietzschéisme, de la vie-art, de la sensation). 15/20.
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