Lorsqu’il écrit “Divorzio all’italiano� avec Ennio de Concini et Alfredo Giannetti, Pietro Germi pense d’abord réaliser un film essentiellement dramatique pour dénoncer l’archaïsme de l’Italie en Général et l’interdiction de divorcer en particulier. Le choix du sud, particulièrement en retard, appuie encore plus là où ça fait mal, car le patriarcat instauré par l’église, est de collusion avec la mafia qui le protège, bien abrité par la loi (“l’article 587 du code pénal ne prévoit pour lui qu’une peine de trois à sept ans s’il a tué pour venger son honneur. Si son affaire est bien préparée, sa cause bien défendue, s’il se conduit bien en prison et bénéficie automatiquement d’une remise de peine, il se retrouve libre au bout de deux ans : libre, complètement. » - Pietro Germi, entretien dans la revue CINEMA 62 (1)). Son ami Mario Monicelli va lui démontrer que son histoire contient plus d’éléments comiques que dramatiques. Avec l’aide d’Agenore Incrocci (non crédité) et sans doute Furio Scarpelli, les fameux créateurs du cinéma comique italien, Germi qui avait réalisé douze films jusqu’alors, mais une seule comédie, plutôt médiocre, “Mademoiselle la Présidente� (qu’il a renié par la suite), releva le défi… pour livrer un chef d’oeuvre. Avec une finesse et une concision remarquable, enchaînant les séquences géniales les unes après les autres (comme par exemple, la scène du café antre le baron, la baronne et celui qui va devenir son amant, où, comme le baron, nous savons, alors que le future couple adultère ne se doute encore de rien), le film en une heure quarante cinq va décortiquer et réduire à néant toute cette mécanique qui semblait solidifiée à jamais par le poids de l’histoire. Le sommet est atteint lors de la projection de “La Dolce Vita� de Fellini, à laquelle les adultes de la petite ville (18000 habitants, 4300 analphabètes, 1700 chômeurs mais 24 églises), se sont rendus en masse, alors que le prêtre a interdit de s’y rendre. C’est au moment du bain d’Anita Ekeberg dans la fontaine de Trevi que la Baronne prend la décision de s’émanciper. Cette idée géniale trouvera sa conclusion dans le dernier plan du film avec comme corollaire que toutes les femmes italiennes peuvent désormais basculer dans l’adultère. La photographie de Leonida Barboni et Carlo Di Palma boucle encore un peu plus cet enfermement carcéral du mariage par des extérieurs écrasés de lumière, renvoyant à des intérieurs sombres et noirs. Le village ainsi solarisé est cadenassé par les hommes, teneurs de l’honneur et donc du qu’en dira-t-on, les femmes, de noir vêtues, sont confinées dans un espace intérieur décoré par les ombres, leur seules sorties étant réservées aux mondanités, dont la messe est la plus importante. L’immense talent de Marcello Mastroianni arrive à nous faire prendre parti pour le baron Cefalù, pédophile incestueux (il convoite sa nièce d’à peine seize ans) et ses ignobles plans machiavéliques qui démontrent progressivement l’absurdité des lois rétrogrades. Il est entouré par Daniella Rocca enlaidie mais absolument drôle et la très fraîche Stefania Sandrelli. Le tout est soutenu par une partition remarquable de Carlo Rustichelli, qui accentue l’ironie et la causticité, comme le faisait un Nino Rota dans les films de Fellini. Résumé de l’Italie et de ses perversions sociétales, “Divorzio all’italiano� est devenu le film référence de la comédie dite à l’italienne et marque les véritables débuts du cinéaste dans la comédie. C’est dire s’il faut absolument le voir avec en prime le Bonheur de passer un excellent moment.
(1) les dispositions concernant les crimes d’honneur furent abrogées par la loi 442 du 5 août 1981