Je ne sais pas trop quoi penser de ce "Léon" mais en tous cas il ne m'a pas fait forte impression, ça c'est très clair. En fait la crème commençait à prendre mais ça a à peine duré jusqu'au dénouement le plus important du récit, pour ne pas dire le seul qui ait suscité un réel intérêt, la rencontre avec la petite Mathilda. Si ce personnage, admirablement joué par la nouvelle révélation du monde du cinéma Natalie Portman, surprend par sa maturité, épate par son audace et sa clairvoyance, si Norman interprété par un Gary Oldman redoutablement efficace demeure perturbant et fascinant à la fois, Léon lui par contre, déçoit à partir de là par son abrutissement soudain, son manque de fermeté et surtout sa banalité rébarbative. Une tournure bizarre qui crée un paradoxe de mauvais goût entre sa forte personnalité tel que revendiquée dans son milieu professionnel, et celle que l'on constate dans sa vie personnelle au fur et à mesure de ses interactions avec la petite.
Le but du jeu étant de démontrer comment même un dur à cuire peut éprouver de l'empathie jusqu'à en renier certains de ses principes et réadapter son style de vie, Léon se prête au jeu. Le problème est qu'il le fait de manière bien trop facile pour nous être vraiment digne d'intérêt, pour éveiller notre curiosité. Il n'y même pas eu cette mise en situation où a lieu le fameux déclic
avec un rire aux éclats, par exemple, d'un comportement amusant ou d'une surprise agréable de la valeur ajoutée de l'avoir à ses côtés. Sans vraiment de raison particulière, le tueur à gages fait preuve d'une motivation voire d'une prédisposition à accueillir dans sa vie cette nouvelle présence
qui va tout changer, on dirait même qu'il n'attendait que ça !
D'ailleurs je ne sais pas trop quoi penser non plus de
cette relation. Honnêtement, de la manière dont c'est fait, c'est un peu louche. Il y a des questions à se poser quand même. Que l'on soit d'accord, qu'une gamine de 12 ans ou même moins puisse avouer à un adulte "je suis amoureuse de toi", ça peut arriver. Un enfant n'a pas de recul face à ce genre de sentiment. Par contre l'adulte en question, en général trouve ça mignon, réagit avec un sourire amusé. Et même s'il ne s'en amuse pas, il ne va toute de même pas prendre cette révélation au sérieux et va normalement rétorquer avec un petit sermon, par sens du devoir d'une personne plus agée, pour essayer de faire revenir l'enfant à la raison, lui expliquer un peu ce genre de choses. Léon, lui, est d'abord surpris avec une touche d'effarement, puis prête une oreille très attentive à la chose. Ce qui l'intéresse c'est surtout savoir comment elle peut être sûre que c'est de l'amour, et quand elle lui répondra, on dirait presque qu'il réagit par déni. Le pire c'est qu'une fois sorti de l'appartement, il se sent tellement éprouvé qu'il s'appuie contre le mur, comme s'il avait soudainement lui aussi ressenti quelque chose… Je ne sais pas mais moi j'ai trouvé cela très bizarre comme approche. Attendez, attendez, je n'exagère pas : lors de leur dernier moment ensemble, il va lui dire "je t'aime Mathilda", pas "je t'aime ma petite" ni "je t'aime mon enfant" ou quelque chose du genre "tu es la fille que je n'ai jamais eu", non ! Un romantique "Mathilda je t'aime !" avec sa paume sur la joue de l'enfant, puis un pouce qui va effleurer sa lèvre inférieure… Soyons raisonnable, dans un gros plan d'une oeuvre cinématographique, ce genre de gestes ce n'est pas du tout anodin, ça ne peut pas l'être ça se remarque tout de suite, ça porte un sens. Donc soit on refait la scène pour dissiper toute ambiguïté, soit on garde et dans ce cas-là on assume, excusez du terme, une certaine forme de pédophilie bienveillante. Avec quelques recherches, je suis même tombé sur une scène coupée au montage où elle veut faire l'amour avec lui. Gêné, il refuse les yeux baissés. Quand elle lui demandera si c'est parce qu'il a déjà une copine, sa réponse est surprenante : un "Non, ce n'est pas ça" très embarrassé. Qu'aurait-il été advenu de ce film si cette scène était maintenue ? Soulignons également cette liberté indécente que Léon lui laisse de s'habiller et se maquiller non seulement comme une adulte, mais comme une adulte fière d'exhiber son corps, de le sexualiser. Je trouve cette attitude de Léon trop perplexe pour ne pas envisager l'éventualité d'une attirance de son coté également, un penchant non assumé. Un peu comme si seules les barrières sociale et morale l'empêchaient d'exalter ses sentiments et le poussaient à agir à l'opposé de ce qui lui dictait son véritable instinct. Si l'on veut rester totalement pragmatique vis-à-vis des de
la méthode Luc Besson, il ne nous laisse que notre bonne foi pour voir les choses autrement, car à s'y attarder sur les détails par-ci par-là, on ne sait pas trop où il veut en venir si ce n'est cette théorie très déconcertante, je l'avoue.
Si ça ne tenait qu'à ça, je n'aurai pas été aussi dubitatif sur ce point, mais le reste du contenu dans son ensemble reste bien trop maigre, ne donne rien de significatif à se mettre sous la dent pour pouvoir focaliser sur d'autres sujets. Pas assez d'enjeux, ni point de défis passionnants, scénaristiquement c'est décevant, ennuyeux même. Sans parler des clichés hollywoodiens dont Besson a pris un malin plaisir à reproduire à la lettre, et pas de la meilleure des manières, même pas besoin de s'attarder là-dessus. C'est surtout sur la démonstration technique que le film tire son épingle du jeu. Peu nombreux étaient en effet ceux qui arrivaient à rivaliser avec ce niveau de justesse dans l'image et la prise de vue à son époque, ça se ressent sans le moindre doute. Celui qui devrait être le film culte de Besson, m'a surtout ennuyé. Pas besoin d'apprendre à lire des scénarios pour arriver à se rendre compte que celui de "Léon" se plante assez lamentablement, nul besoin de lunettes non plus pour déceler ses facilités et sa nonchalance à traiter cette périlleuse relation entre les deux héros principaux, peut-être Luc Besson aurait-il eu besoin de gagner davantage en maturité avant de se lancer dans une telle mission.