Visconti est un grand cinéaste, indéniablement. Et "Mort à Venise" est assurément un chef d'oeuvre. Cependant, le cinéma de Visconti ne m'a jamais profondément emballé ou touché. Il y a quelque chose de trop rigoureux, de trop maîtrisé chez ce cinéaste, qui, au final, fait que ses films sont superbes, certes, mais d'une beauté froide, distante, qui ne parvient jamais à me submerger totalement. Je me reconnais ainsi complètement dans les propos de Godard à cet égard, dans son célèbre texte "Bergmanorama", auquel je renvois donc le lecteur. "Mort à Venise", adapté de la nouvelle de Thomas Mann, est un film somptueux qui mûrit lentement après le 1er visionnage et révèle alors toute sa richesse thématique: l'art, la Beauté, le désir, la mort, la fuite du temps, la pureté et l'impureté, la crise de sens de la bourgeoisie... Rien de moins, malgré le fait que l'anecdote du film est bien mince, se résumant à un simple jeu de regards. Superbement filmé jusque dans les moindres détails, bercé d'une douce mélancolie, le film illustre parfaitement la maîtrise stupéfiante que Visconti a de son outil, malgré quelques scènes flirtant parfois avec un romantisme légèrement niais, en raison d'un abus certain des travellings optiques et de la musique de Mahler. Il n'empêche, c'est très beau, et très riche. Je relèverai un parallèle saisissant entre l'art de Visconti et les propos d'Aschenbach, celui-ci estimant que la Beauté est le fruit du travail rigoureux et acharné de l'artiste, opposé en cela à son ami Alfried, qui affirme qu'elle n'est en aucun cas le fruit d'un travail. Le film donne raison à Alfried, dans le fond, mais est une application des théories d'Aschenbach, dans la forme. On imagine alors la part autobiographique contenue dans le film et on comprend mieux pourquoi l'adaptation de cette nouvelle tenait tant à Visconti. "Mort à Venise" révèle une maîtrise parfaite, trop parfaite... Au final, c'est un film que j'admire, non que j'aime. N'est-ce pas Jean-Luc?