L'histoire d'un homme fatigué de beaucoup d'échecs, qui va se reposer à Venise, comme d'autres font leur voyage de noces.
Voici un film culte à prendre avec des pincettes.
Le sujet tout d'abord. La découverte tardive de l'ambivalence de la sexualité masculine. Puisque tout est basé sur la beauté, la perfection et le look, et que les grecs ont compris bien avant le marais parisien : le pouvoir du plaisir de la ressemblance (on appelle ça un miroir), les hommes avec les hommes, les femmes pour procréer et blablater ensemble ! Qu'est ce qui empêche les hommes de 2008 d'aimer la jeunesse masculine, à part leurs goûts profonds, la morale catholique et la loi laïque ? Il est sûr que ce choix a participé à l'odeur de souffre de ce film. Mais s'il est essentiel pour comprendre que l'humanité ne se résume pas à la norme pour les moutons qui ont peur de se perdre dans les méandres de la beauté et de l'aventure, une jeune fille aurait autant fait l'affaire. Et pourtant, peut-être pas. Tout serait devenu plus salace, sinon vulgaire, ici, le jeune garçon joue et utilise tout son pouvoir de séduction naissant (et bientôt périmé) pour jouer contre un adversaire finalement plus proche donc plus complexe, et surtout à sa hauteur.
Si ce jeu très pervers de la proie sur le chasseur presque inversé prend tout son sel par son homosexualité, il est aussi original. Qu'on ne me parle pas de pédophilie ou de détournement de mineur, à 14 ans à cette époque, on était suffisament grand pour savoir ce que l'on doit faire et avec qui.
De signe de croix, il n'est pas question dans ce film, la bourgeoisie de l'époque avait depuis longtemps pris ses distances avec le clergé, et l'expression du physique masculin, avec des maillots plus que suggestifs annonçait la fin du corps que l'on cache, même en bonne société. A moins que la bourgeoisie ne considère l'adolescent indemne des stupres du désir charnel adulte.
Car ce que plusieurs passages à la télévision m'avaient fait perdre, c'est le jeu sournois de ce jeune Polonais. Sur grand écran, aucune indécision n'est possible, la jeunesse s'ouvre à la puissance de la séduction, et au danger de s'intéresser à l'autre, à une époque où la mixité était quasiment impensable, l'homosexualité était le premier expédient du désir des entrailles.
C'est finalement ce qu'il y a de plus choquant, l'homme frustré de tant d'échecs n'est pas le plus pervers, seul l'« innocence » fait l'avocat du jeune éphèbe.
Le film est évidemment aussi une histoire d'amour, mais tellement polluée de scandale et de pathos que l'on oublie presque que Visconti a parfaitement décrit sans aucune niaiserie les émois sentimentaux de ce vieil homme, sur presque tout les plans.
Tous les thèmes sont abordés, la vieillesse, la séduction, l'amour, la pédérastie, le changement de siècle dans l'art de la musique, la corruption intellectuelle d'une ville touristique comme Venise, et bien d'autres choses qui tiennent à peine dans 2h10 de film.
Et c'est beau.
Evidemment, tout n'est pas parfait, la lenteur incroyable de la première demi-heure donne à voir une belle photographie, mais ça ne suffit pas à sortir de l'ennui. Les plans qui tournoient (lentement) pour découvrir les salons sont intelligents, mais au troisième, on sent le système. Sans parler de ces zooms obligatoires du début du film sur Bogarde.
Les scènes de flash back avec l'ami critique d'art ou compositeur ne sont pas du tout maîtrisées à mon goût et tombent un peu comme un cheveu sur la soupe puisque les dialogues sont empesés et abscons tandis que le positionnement amical n'est pas très clair.
Et le vrai problème en ce qui me concerne, c'est que je crois que je n'aime pas Mahler, autant dire que le film est un peu pénible à ce niveau !
Le truc qui mettra tout le monde d'accord, même les imbéciles, ce sont ces deux superbes scènes sur la plage. La première, inoubliable, du compositeur écrivant face à la beauté pure, qui essaye de sauver un moment d'éternité, de cet enfant drapé à la romaine qui part contempler la mer dans un coin du cadre de la caméra, tellement gracieux, tellement au delà des contingences matérielles. Le genre de scène qui perd tout intérêt à la télé, mais qui prend sens et majesté au cinéma sur grand écran.
Celle où après une bagarre imbécile avec un camarade de son âge ingrat et puéril sinon machiste, il va chercher la pureté sans doute la maturité vers l'eau et le soleil qui crépite d'intensité sur sa magnifique ombre chinoise d'enfant polonais entre deux âges, sur une plage vénicienne filmé par un italien, marqué à jamais par la beauté et la grâce dont il abuse de manière ostentatoire, cette chance que le hasard lui a donné à la naissance.
Rien que pour ces deux moments, très courts, ce film est le chef d' œuvre absolu, qui montre la beauté parfaite, peu importe que ce soit un homme, un enfant ou une femme, Visconti a su diriger cette beauté du diable, et c'est éternellement magnifique.