La scène d’ouverture, l’arrivée par la lagune de Gustav Von Aschenbach, est déjà somptueuse. Par ses merveilleuses images dans la lumière brumeuse, voire blafarde, correspondant en cela au teint du personnage. Par ses différents éléments : les soldats qui courent le long des Giardini, qui renvoient le musicien au temps lointain de la jeunesse et de la santé, et qui sont annonciateurs de la guerre mondiale qui se profile ; le nom du bateau qui le transporte, qui évoque, et le fait pressentir, l’impossible amour ; les initiales de G V A sur sa malle, imposante et noire, préfigurant son cercueil. Le titre le disait déjà, c’est d’une arrivée vers la mort qu’il s’agit. Et le gondolier qui va l’emmener au Lido s’apparente au « passeur » de la mythologie antique. Au cours de ce dernier séjour, Von Aschenbach va découvrir un adolescent fascinant, pour lui le symbole de la beauté, beauté qu’il s’est efforcé d’atteindre par ses compositions. Dans une Venise en proie à l’apparition d’une épidémie de choléra que les discours officiels s’attachent à dissimuler, cette rencontre va faire surgir des souvenirs, souvent douloureux ou cuisants, et susciter de très riches réflexions, sur l’art, la création, et les limites de l’homme. Au rythme de scènes magnifiques (l’exaltation d’Aschenbach lorsqu’il trouve le prétexte du bagage égaré pour revenir au Lido, c’est-à-dire faire passer sa pulsion par-dessus la raison), de la fluidité et l’élégance que leur confèrent les nombreux lents panoramiques ou zooms, que Visconti expliquait en disant que le film est un échange de regards, scènes qui sont autant de glissements vers l’inéluctable. Au rythme aussi du merveilleux et délicat Adagietto de la 5ème symphonie de Mahler (dont le personnage a inspiré celui d’Aschenbach), qui est une composante essentielle de l’ambiance du film (et qui est pour moi difficilement dissociable du film et de la Sérénissime). Réflexion et émotion, grandeur et délicatesse, beauté naturelle et beauté artistique : Luchino Visconti a réalisé un inoubliable chef-d’œuvre, qui dépasse (le fait est assez rare) le livre de Thomas Mann.