Peut-être le plus grand film de Visconti! Pour bien en saisir la portée, il importe toutefois de ne pas y voir d'abord une reconstitution historique mais bien une authentique tragédie, ce qui rend au passage supportable l'usage de l'anglais en lieu et place de l'allemand qui aurait idéalement dû s'imposer. «Les damnés» (1969) s'inspire lointainement mais explicitement du «Macbeth» de Shakespeare, Friedrich (Dirk Bogarde) occupant la place de Macbeth et Sophie (Ingrid Thulin) celle de sa machiavélique épouse. Et c'est par la médiation de la tragédie, et des jeux mortels du pouvoir qu'elle met en scène, que le réalisateur entend évoquer indirectement l'ambiance putride et macabre de la montée du nazisme dans l'Allemagne des années 30. La mise en scène est, comme on pouvait s'y attendre, somptueuse et d'un perfectionnisme maniaque, tandis que le classicisme de la réalisation, tout à fait opportun ici, sert à merveille la grandeur du drame qui se noue devant nos yeux. Les acteurs se livrent pour leur part à une véritable lutte des géants et rivalisent tous de perfection. Bogarde, Thulin, Helmut Berger, Charlotte Rampling nous démontrent tous combien ils furent d'immenses acteurs. Car, il faut bien en convenir, c'est, à bien des égards, à du théâtre filmé que l'on a affaire ici, mais à du très grand théâtre! Comme «Le guépard» ou comme «Mort à Venise», mais avec, à mes yeux, davantage de puissance, «Les damnés» constitue une brillante métaphore de la décadence, de la déchéance et de la putréfaction, métaphore qui, bien au-delà de son ancrage historique particulier, a une valeur et une portée universelles.