Une des plus célèbres œuvres du cinéaste que je découvre enfin, réunion de ses actrices fétiches – hormis Bibi Anderson – autour de ce drame se déroulant au XIXème siècle. Preuve de qualité, même notre illustre ancien président Sarkozy l’a adoré…
Partant sur de si belles bases, on ne peut qu’être fasciné par ce film, et pour ma part ce fut le cas. C’est peut-être paradoxal de faire cette comparaison car le réalisateur en question n’est apparu que bien plus tard, mais il y a tout d’abord un côté assez hanekien, de par l’évocation du titre, et Bergman exploite cette idée à merveille. Dans ce grand manoir où le rouge si significatif est prédominant, Bergman déshabille chacune de ses actrices, allant des sœurs à la servante, et nous les expose nues, telles qu’elles sont réellement, en dehors de leurs couvertures sociales.
Ainsi, et par un procédé narratif extrêmement intelligent, on entre dans le passé, les fantasmes, souvenirs, et même rêves, de chacune des protagonistes. Liv Ullmann la coquette, cette scène au début où Josephson (le futur couple culte de Scènes de la vie conjugale et Saraband) regarde Ullmann dans le miroir, et fait ressortir de son visage les encoignures, les rides, toute la méchanceté, l’indifférence, qui caractérise le personnage. Puis l’adultère avec ce même médecin, poussant le mari d’Ullmann à une tentative de suicide – ratée. Je ne vais pas tous les faire pour chacun des personnages, mais à chaque fois Bergman détaille avec une précision et une beauté sidérantes la vie de ces femmes.
Les fondus répétés en rouge, associés à toute la décoration de la même couleur, rendent l’ambiance oppressante, âpre. La mort d’Agnès, seule sœur « bonne », qui se souvient de sa mère, ayant la foi – (avec une grosse ironie) même plus que le prêtre qui viendra pour la cérémonie – dont les deux sœurs s’en fichent éperdument (« Personne ne peut m’aider ? » assène-t-elle à plusieurs reprises), et ne trouvant du réconfort que par la pauvre servante Anna.
Après la mort, on a droit à de violentes confrontations entre Ullmann et Thulin, et hormis une scène (réelle ?) où elles semblent heureuses à discuter, ce n’est que déchirement. L’une tente le rapprochement mais l’autre la hait, et refuse tout contact physique, et au moment de partir cette dernière tente de se rattraper, mais c’est cette fois Ullmann, par un égoïsme bien prononcé, qui se désintéresse de sa sœur.
Ce qui est fort ici, c’est que Bergman n’utilise pas un élément familial comme caractérisant la désunion entre les sœurs. Dans les films en général on voit un testament, un crime façon Christie, ou tout autre chose qui divise les membres de la famille…
Non, là dès le départ, avec tous ces flashbacks, on sait que les 2 sœurs sont par essence mauvaises, par leur personnalité, leur caractère, leur attitude, et la mort d’Agnès accentuera un peu plus ça, mais ce n’est pas l’évènement en lui-même qui crée ça. Et là c’est fort, c’est extrêmement fataliste certes, mais on ne tombe pas dans ce genre de mélo où simplement un drame fait ressortir les défauts de chacun, non là les défauts sont déjà présents, dans chacun des personnages, ils sont mauvais par nature, et ce pessimisme me ravit, c’est réaliste.
Enfin comment terminer sans parler de cette dernière scène ? Quelle beauté… Dans le parc du château où les 3 sœurs et la bonne, habillées en blanc, courent, se chamailler, se font balancer, qu’est-ce que c’est magnifique, simplement splendide, un grand moment de cinéma, comme tout le film en somme…