Alors que le ratage de la comédie musicale New York, New York l'avait plongé dans un état de dépression temporaire, Martin Scorsese revient sur le devant de la scène d'une façon aussi magistrale qu'inattendue avec l'évocation de la vie de Jake La Motta, ce "Taureau du Bronx" comme il fut surnommé, champion du monde des poids moyens en 1949, avant de sombrer dans l'alcool et de devenir le gérant d'une boîte de nuit, appelée, avec modestie, "Jake La Motta".
Mais moins qu'un film sur la boxe comme il a été trop souvent présenté (rappelons que les combats de boxe n'occupent dans le film que 10 minutes, sur 129 - même si ils consistent en de très grands moments de bravoure); Raging Bull est surtout un film sur la rédemption et le pardon, parcouru d'allusions christiques. La destinée de Jake La Motta, commençant dans la délinquence de petite envergure avant de se heurter à la réalité physique des corps avec un penchant pour l'autodestruction et le sadomasochisme (le combat final contre Ray "Sugar" Robinson, moment mémorable du film, dans lequel La Motta encaisse les coups sans rechigner, et encourage même son adversaire à poursuivre encore et encore) s'apparente en fait à un réel chemin de croix. Au final, le boxeur se retrouve seul en prison face à lui-même, abandonné de son frère, de sa femme et de ses enfants, avant de trouver un semblant d'issue comme gérant d'une boîte de nuit, où, devenu gros, il récite mollement des vers de Shakespeare ou de Tennessee Williams, objet de tous les quolibets de la part d'un public qui découvre l'homme (gros, vieux, saoul) derrière la légende (le boxeur adulé, le champion des poids moyens en 1949).
C'est en cela que Raging Bull est tellement réussi, et qu'il s'élève bien au-dessus du simple cadre du biopic traditionnel, en la façon dont Scorsese s'investit personnellement. C'est peut-être à y songer son film le plus personnel (alors qu'on aurait pu penser que la facture du biopic destine à l'anonymat le réalisateur): en plus de l'évocation haute en couleur et pleine d'humanité (le voisin qui traite Jake d'animal, alors que celui-ci vient de renverser la table de la cuisine, de réprimander sa femme, et de se disputer avec son frère, dans un joyeux désordre) de la communauté italo-new-yorkaise dont La Motta est également issu; il y laisse donc libre cours à sa vision religieuse et christique de la vie. En même temps, cela permet une réflexion sur la condition humaine. Jake La Motta est-il un animal/ un être humain? A-t-il perdu sa dignité en n'existant que par le ring, que par la force de ses poings et de son corps?
En outre, Raging Bull est servi par un noir & blanc sublime, qui contribue encore un peu plus à immortaliser le film. Restent aussi l'incarnation (beaucoup passe par la viande, par le corps, par la chair) légendaire de Robert De Niro, qui avait poussé le professionnalisme jusqu'à grossir de 30 kilos en quatre mois et subir un entraînement de boxe au terme duquel Jake La Motta lui-même l'avait classé parmi les vingt meilleurs poids moyens du monde; ainsi que celle, bouleversante, de Joe Pesci, très sincère dans le rôle du frère de La Motta. Le tandem nous emmène dans une relation tumultueuse (La Motta le frappe quand même violemment, le soupçonnant d'avoir couché avec sa femme), colorée, pleine d'humanité, de vie, et d'émotion - il reste à repréciser que Raging Bull est un film immensément émouvant, et non seulement un film de challenges et de performances (les 30 kilos de De Niro...). Le duo De Niro-Pesci nous offre aussi une scène d'anthologie particulièrement inoubliable: "You fuck my wife" demande La Motta à son frère, qui veut d'abord esquiver la question, sans compter sur l'obstination bornée de son frangin.
En bref, un des biopics les plus intéressants et les plus réussis qui soient, avec peut-être Ed Wood de Tim Burton.