« Laurie, the Boogeyman’s outside, look ! »
Lorsque j’étais enfant, on ne fêtait pas Halloween, ni en Belgique, ni en France. J’ai découvert cette fête un peu par hasard quand un de mes camarades de classe, je devais avoir 14 ans, m’avait refilé, sous le manteau, des copies pirates VHS d’Evil Dead et… d’Halloween, d’une bien piètre qualité. L’idée était alors de se faire peur tout seul et de jouer les caïds en disant « oué, je l’ai vu, même pas eu peur » (ce qui est évidemment faux).
Au niveau de l’histoire du cinéma, Halloween/La Nuit des Masques marque un tournant. Il s’agit du premier film d’horreur réalisé par John Carpenter, qui en écrit également la musique immédiatement reconnaissable, c’est aussi l’un des premiers slashers devenu internationalement culte alors même qu’il sort à une époque où la fête d’Halloween reste confinée au monde anglo-saxon. C’est enfin la première apparition à l’écran de Jamie Lee Curtis, qui deviendra une égérie des films d’horreur durant les années ’80 et tournera en tout 3 fois avec Carpenter (Fog, 1980, New-York 1997, 1981) ainsi que dans 8 des 13 suites et remakes de la licence. Donald Pleasence, acteur britannique éclectique et mythique apparaîtra dans 5 d’entre eux. Aucun des deux n’apparaît dans le troisième volet. Enfin, Halloween ouvre la voie à l’éclosion d’un nouveau mode de consommation de culture populaire qui bercera une génération toute entière : la vidéo à la demande, à travers les vidéoclubs.
Dire que Carpenter a tout inventé serait une grossière erreur. Ses influences sont multiples et plongent loin dans la fabrique cinématographique, de l’expressionnisme d’avant-guerre et d’Hitchcock aux gialli dont Mario Brava fut une figure de proue, en passant par les films de la Hammer anglaise et Howard Hawks, voire plus loin encore comme en témoigne, dans la chambre de Laurie, une affiche de James Ensor, peintre ostendais qui exposait des foules masquées fantomatiques dans ses toiles. En revanche, il plante les codes du genre pour des générations entières à venir.
Il commence d’ailleurs à tourner à un moment où le cinéma des Etats-Unis se transforme complètement, délaissant les studios et les codes de morale et de censure (en vigueur jusqu’à la fin des années ’60) et explorant de nouveaux genres, à l’image du porno. En parallèle, de jeunes réalisateurs, nourris par d’autres cinémas, dont la Nouvelle Vague française et le néoréalisme italien, expérimentent et améliorent les inventions techniques et artistiques de leurs prédécesseurs, dans un mouvement appelé le New-Hollywood : Scorsese, Lucas, Coppola, De Palma, Spielberg.
C’est dans cette effervescence que naît Halloween, thriller horrifique réalisé comme un film expérimental par moments, où Carpenter inverse tout le temps sa caméra en mode objectif/subjectif et joue constamment du travelling fluide et rythmique, à l’image de sa musique. Détail amusant et mise en abyme, quand le jeune Tommy/Brian Andrews retrouve Laurie/Jamie Lee Curtis, il lui demande s’ils pourront regarder un film d’horreur le soir. Autre détail, l’une des rares chansons que l’entend, dans la voiture de l’amie de Laurie, est Don’t Fear the Reaper, du Blue Öyster Cult (1976).
On le voit, Halloween était bien plus qu’un simple film d’horreur pour adolescent·es en mal d’émotions fortes. C’est un véritable chef d’oeuvre d’une incroyable densité artistique, une leçon de cinéma.