Le titre fait attendre un film empreint de religion, surtout quand on sait que l’Irlande est très croyante. Mais le sujet de Sheridan, c’est que la patrie de Michael Collins était surtout très croyante en sa haine des Anglais.
Le réalisateur dublinois, ça le connaît, l’ire de l’IRA qui se casse la tête sur celle, couronnée, des voisins, aussi ne sera-t-on pas étonné qu’il sût tirer des ruelles la plus parfaite matière révolutionnaire, se plaçant au niveau de valeurs aussi sûres que Bono, Sinéad O’Connor ou Daniel Day-Lewis qui sont les trois Irlandais d’élite attachés au projet (ce dernier a obtenu la citoyenneté irlandaise l’année de sortie du film). On avance presque trop vite dans la brillante & cryptique inimitié des nations sœurs ennemies, dont on aimerait pouvoir plus longuement se délecter.
Film hyperirlandais & carcéral, Sheridan a tellement mis de sa personnalité dedans qu’on en oublie de l’étiquetter. Peut-être l’a-t-il fait à outrance : bercé par sa confiance en l’écriture, il s’est fait taper sur les doigts pour avoir trop fricoté avec l’histoire vraie, & c’est normal que ça gêne : on parle quand même de terrorisme & d’injustice historique. Toutefois, le spectateur sera indulgent, car si c’est là le coût pour un divertissement si bien dirigé sur tous les plans, il sera prêt à ne pas y accorder une confiance aveugle.
Pour une fois, Day-Lewis l’acteur total ne sort pas tellement du lot, mais c’est parce que tous les rôles sont bien montés, pas tout à fait néanmoins comme leur temps de parole qui est le second témoin, après le rythme, d’une certaine compression du script – aussi, des acteurs comme Emma Thompson sont plus relégués qu’ils ne devraient l’être, ce qui éloigne l’œuvre de la pleine réussite judiciaire qu’on attend avec l’éclatement des verdicts.
D’ailleurs, Au nom du père est particulièrement absorbant en ce qu’il est à la fois un film judiciaire & carcéral, deux genres bien distincts pour qui veut prendre la peine de les séparer, & qu’il s’adonne à la description plus qu’à l’immersion. Cela reviendrait au même si cela ne compensait pas avantageusement les raccourcis tout en faisant bénéficier l’écran de la plume de Sheridan, sensible à la construction progressive, pièce par pièce, d’une histoire qui aurait facilement pu devenir indigeste, entre tribunal, prison, drame familial & politique.
Avec les souvenirs & la non-linéarité menée par voix off, tout va bien ; ça secoue un peu mais on tient la route. Surtout, le film se ressource dans des personnages qui disparaissent tard & apparaissent tard, de quoi opérer les glissements de genre en minimisant la peine que cela fait de ne pas pouvoir mesurer ce que représentent 15 années de prison.
On est sur un meilleur film irlandais que carcéral & un meilleur film carcéral que judiciaire. Un dégradé qui est le résultat d’une écriture talentueuse mais par endroits trop résumée, & à peine aussi relevée que le promettent le thème & le casting. En revanche, il se place en quasi-référence dans l’histoire du cinéma irlandais & du cinéma historique, gonflé de plusieurs âmes d’artistes pas forcément bien emboîtées mais fortes de la volonté de bien faire.
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