Comme les héros rohmériens, je suis partagé entre deux côtés. D'une part il y a l'ennui, de l'autre une joie intense. L'ennui vient du film - chiant comme un dimanche pluvieux -, la joie vient de ma relation au cinéma de Rohmer : nous venons de rompre, c'était mon dernier film avec lui ( pardon, j'ai utilisé le mot cinéma, il est en trop ici ). Je voulais voir plusieurs de ses films avant de juger définitivement. Je suis venu, j'ai vu, je suis déçu. Déçu parce qu'on m'avait dit que Rohmer était un des plus grands cinéastes français de l'Histoire. Pauvre cinéma français ! Etre associé à une telle absence de forme(s), de mise en scène, être confondu avec le théâtre ( non pas que je n'aime pas le théâtre...)...car au pire, Rohmer aurait mieux fait d'en faire, du théâtre. Il faut reconnaître que chez lui, il y a au moins quelque chose d'intéressant : la musique des dialogues. Il y a chez Rohmer un sens du rythme très intéressant, une manière qu'ont les mots de s'enchaîner qui s'avère agréable. Seulement, les mots ne sont pas intéressants. On parle beaucoup pour ne rien dire, ou alors pour dire des choses qui auraient très bien pu intéresser un public du 17ème siècle. Car c'est précisément ça le problème de Rohmer : il a trois cents ans de retard sur tout. Son cinéma est daté, et parfois je regrette que le septième art ait été inventé au 19ème siècle, me disant que s'il l'avait été en février 2010, Rohmer n'en aurait jamais fait et qu'il se serait concentré sur la littérature ou la scène donc. Mais il a choisi le cinéma et ça ne fonctionne pas, c'est plat, vain, c'est le degré zéro de la mise en scène. Loin de moi l'idée que le théâtre exclue la mise en scène évidemment, mais au cinéma le degré d'exigence est différent, et il me semle que Rohmer l'oublie un peu.
Il y a cette fameuse phrase d'Hitchcock sur le mauvais cinéma qui n'est que du théâtre filmé, qui fait inévitablement penser à Rohmer. On a l'impression que sa caméra fait dans le prêt-à-filmer, que ni l'espace ni les corps n'intéressent l'homme. Ce qui l'intéresse ce sont les états d'âme de ses pauvres personnages qui ne savent pas très bien où ils en sont dans leur vie sentimentale. Ils hésitent, c'est ça l'amour pour Rohmer : de l'insatisfaction permanente. C'est très bien mais le problème réside dans l'incapacité à créer de l'émotion et à toucher le spectateur dans la mesure où la forme ne développe rien. Comment s'intéresser à des personnages quand la matière qui les entoure est flasque et repoussante ? Comment se passionner pour ce qu'ils sont quand ce qu'ils disent est d'une affligeante monotonie ? Ils souffrent, mais on s'en fout. L'amour est certes universel et atemporel, mais ça n'est pas une raison pour traiter le sujet comme on le faisait il y a quelques siècles. Le cinéma de Rohmer manque d'idées - ce que ses défenseurs appelleront de la simplicité -, de modernité - " un charme désuet " -, c'est un cinéma qui au sein de la Nouvelle Vague aurait dû faire figure de paradoxe : ça sent trop la naphtaline, c'est à l'opposé d'une certaine idée de la fraîcheur que pouvait représenter A Bout de Souffle ( wahou, je défends ce film, c'est dire ), c'est encore pire que le cinéma " de papa " français, contre lequel s'établissaient les Cahiers et ses critiques de l'époque. Dans le film, même les jeunes de seize ans semblent en avoir soixante-dix. Le choix d'une diction théâtrale et l'incohérence des dialogues - surécrits, surpensés - enlèvent toute jeunesse au film. Il n'y a là aucune modernité, c'est un monde bourgeois fermé sur lui-même, sans aucun repère social. Ca n'est pas un hasard si Rohmer filme souvent des lieux où la modernité est absente : campagnes, plages, montagnes, forêts. Comme si le contemporain n'avait pas sa place ici.
Il y a cet examen que l'on fait chez le médecin, quand il nous tape le genou pour tester son réflexe. Si le film de Rohmer passait ce test, il ne bougerait pas, parce que le genou de Claire est inerte, vieux, déjà un peu mort.
J'ajoute que s'il vous venait à l'idée de me torturer, inutile d'appeler Jack Bauer, montrez-moi deux films de Rohmer d'affilée, je ne tiendrais pas longtemps.
Un des meilleurs films de son auteur.