Mina Tannenbaum a été l'un des films les plus marquants de mon adolescence. C'est lui qui m'a donné envie d'aimer le cinéma et qui m'a fait comprendre que l'émotion se situe sur la frontière subtile de la fantaisie et de l'obscurité. Je me revois sortir du cinéma, changée, bouleversée, portant en moi la musique sublime de Peter Chase. Ce film ne peut se résumer à une histoire d'amitié, il décrit les destins si proches et si lointains à la fois de deux femmes qui ont été réunies par leurs failles. Deux femmes, deux petites filles, se sentant à l'écart, l'une, Mina, refusant de se conformer, l'autre , Ethel,tentant en vain de rejoindre la norme. On suit leur enfance au sein de familles juives asphyxiantes, on vit avec elles leur adolescence complexée, lorsqu'elles partagent joies et déceptions et que leur complicité se soude. Mina et Ethel se servent l'une de l'autre comme d'un miroir, chacune voyant en l'autre les forces qu'elle aimerait avoir. La première pense ne pas savoir aimer , la seconde pense se noyer dans le besoin d'amour. Pourtant, ce sera Mina qui ne parviendra pas à couper le fil invisible la reliant à son amie. Le drame est latent, il se construit à mesure que se développe et se sépare la vie des jeunes femmes. Mina se veut indépendante et libre d'esprit, et pendant qu'Ethel fait mille concessions pour s'intégrer et se faire apprécier,elle se laisse enfermer par le temps qui passe, détruire par les désillusions, les renoncements.Ethel serait la seule à pouvoir faire revivre le passé, mais est-ce trop tard? L'impression de connaître intimement Ethel et Mina vient du fait qu'à aucun moment le film ne tombe dans le larmoiement ou dans l'excès, au contraire, comme dans la vraie vie, l'amertume, le chagrin s'installent à travers les détails, sur le chemin complexe de la construction de l'identité et de la féminité. Si ce chemin est difficile, il sait aussi être léger et drôle, les clins d'oeil de la mise en scène, l'imaginaire prêté aux personnages, les petits montages surréalistes viennent à la fois réchauffer l'âme et poser un sourire sur les lèvres. Mina Tannenbaum est loin d'être un film sombre, il est en demi-teinte, et si l'on en ressort avec le coeur serré, on repart aussi avec le fou-rire d'Ethel interviewant un peintre, les fredonnements de Mina dans la rue et les chuchotements de deux petites filles qui se parlent à l'oreille. Qui nous parlent à l'oreille.