« La Griffe du Passé » vaut pour certaines comme « le » film noir; il pourrait en être l'archétype: un détective en trench-coat (Bogart était pressenti pour le rôle), héros mélancolique qui n'échappe pas à son destin, des femmes au rôle ambigu, des hommes tombant comme des mouches. Meurtre, trahison, jalousie, pessimisme, fatalisme, le tout en une mise en scène le plus souvent nocturne. On a le plaisir de voir à l'écran un Kirk Douglas (Whit) que l'on n'a pas l'habitude de voir si jeune, donnant la réplique au grand Robert Mitchum (Jeff), parfait comme à l'accoutumée. Jane Greer (Kathie) est aussi très belle en manipulatrice de ces deux hommes. « La Griffe » réunit de très grandes qualités: atmosphère, beauté des plans, profondeur du personnage incarné par Mitchum, réussite dans le rendu de la tension tragique entre l'espoir d'une nouvelle vie et le destin auquel on n'échappe pas, ainsi que dans la mise en scène du conflit archétypique entre le vice et la vertu (Kathie et Ann). Malgré cela, il se peut que l'on se sente un peu « perdu » par le film, intellectuellement et affectivement. L'ambiguité des personnages (des femmes surtout) justifie pleinement la difficulté que nous avons à fixer nos sentiments, là dessus il n'y a rien à redire. Néanmoins, on peut se demander si à partir des deux-tiers du film, une trop grande complexité du scénario, une inflation dans le nombre de personnages, n'en viennent pas à nous distancier de celui-ci. En particulier, il n'était sans doute pas nécessaire d'ajouter un troisième rôle féminin. La tension affective se relâche, se disperse, alors que l'attention intellectuelle est mise à trop forte contribution. Reste que le final est très beau, et que « La Griffe du Passé », malgré nos réserves, est un film « de référence », important et à voir.