Touch of Evil
L'emprise du passé brise l'idylle obscure de l'homme placide au Trench Coat désabusé, dupé par la femme fatale dans une évasive noirceur stylisée. Le destin s’impose à lui, aucune issue, aucun moyen d’y échapper. La griffe du passé est imprégnée d’un profond fatalisme, une inexorable noirceur qui en fait l’un des plus tragiques films noirs. L’éclairage subtil de Tourneur vient harmoniser l’ensemble, accentuant l’énigme autour d’une intrigue indiscernable et ténébreuse où le drame passionnel se déchaîne dans une violence nocturne.
A l’image de La Féline, Tourneur oriente la subtilité narrative dans un non-dit maîtrisé à la perfection, évoluant dans un Noir et Blanc étincelant et intensément nostalgique, sublimé par le charme ravageur d’une Jane Greer superbement manipulatrice. L’apathie de Mitchum, d’une froideur insolente, façade de la vulnérabilité, se fera trahir par des pulsions irrépressibles, motivé par une impuissance face à un amour débauché et sadique. Malgré son indiscutable envie d’exhumer la vérité et de renoncer au passé, la passion prend le dessus.
Une certaine duplicité marque le film : sous des airs presque oniriques, d’une plage d’Acapulco, éternel amour, idylle mexicaine à la mélancolie passagère, succède l’obscurité mensongère des ruelles de L.A. et de sa belle illusionniste. Douglas équilibre l’opacité des noirs desseins dans un jeu nébuleux et perçant, permettant l’ambigüité quant à la véritable charogne de l’hermétique trio. Tourneur emprunte habilement la codification incontournable du film noir (cigarettes, flash-back, dialogues poétiquo-incisifs, retournements de situation, gangsters…) tout en y apportant sa stylistique expressionniste.
La densité de l’intrigue transparaît à travers cet effacement progressif d’un passé magnifié, sous les sunlights des tropiques, jusqu’au tragique présent d’un passé manipulé. Le rythme se fait peu à peu détaché, ce qu’on peut notamment reprocher, sorte de rupture calculée marquant l’impossibilité d’un revirement de situation : les mimiques flegmatiques d’un Mitchum habité par une animosité de marbre, symboles d’un fatum funeste annoncé. Mitchum est marqué par les griffures du temps, coincé dans une simili liberté illusoire, corrompu par la Femme désinvolte animée par l’anéantissement malgré des motifs énigmatiques, toujours inconnus à ce jour ; Mitchum réussira à s’échapper, gagner sa liberté, dans une issue des plus tragiques.
Out of the Past est un enchantement désenchanté, paradoxale amour crépusculaire où la vulnérabilité masculine est engloutie par les ténèbres d’un Satan féminisé, envoûtante pécheresse, symbole de la fatalité. Par une complexité apparente, Tourneur signe un grand film noir qui malgré quelques lenteurs dans la deuxième partie, insuffle une beauté visuelle irrésistible au mystère matérialisé dans un climat oppressant, désintégration de l’intégrité de l’homme trompé par le vice le plus charmeur qui soit : la féline.