En 1993, Steven Spielberg montre qu’il est toujours le roi du divertissement avec Jurassic Park qui devient le plus gros succès de l’histoire du cinéma (sans compter l’inflation) en battant son propre record d’E.T. l’extra-terrestre. Il est donc surprenant de le voir 5 mois plus tard sortir un film en noir et blanc de 3 heures racontant l’histoire d’un adhérent nazi ayant sauvé 1 100 juifs des camps de concentration.
Ainsi, le film
traite très peu des camps de concentration (le passage a Auschwitz dure très peu de temps)
mais montre surtout la dégradation progressive de la situation des juifs
(plusieurs séquences montrent des juifs expliquant que la situation ne pourra pas être pire ou que le pire est passé, ce qui n’est finalement pas le cas)
et l’évolution de la prise de conscience de Schindler
(il est infidèle et ne pense qu’à ses intérêts financiers au début pour terminer en étant fidèle et en se ruinant pour sauver le plus d’êtres humains possible, au point de se reprocher de ne pas en avoir sauvés plus à cause des dépenses inutiles qu’il a faites par le passé)
. Cet angle permet au cinéaste de rappeler au public l’existence de la Shoah (qu’une partie de la jeunesse américaine avait déjà oubliée) sans montrer l’immontrable
(dans une scène, aucun juif ne croit un de leurs membres évoquant l’existence des chambres à gaz). Cela peut expliquer une courte séquence très critiquée à l’époque où des femmes croyant se trouver dans une chambre à gaz découvrent finalement qu’elles sont sous des douches : on peut voir la peur créée sans décrire l’horreur
.
Malgré tout, Spielberg n’hésite pas à montrer toute la brutalité et la gratuité des soldats nazis.
Une scène montre ainsi Amon Göth tuer une architecte juive lui indiquant que la construction d’un bâtiment est défectueuse puis ordonner ensuite à ses hommes de suivre les conseils de reconstruction de sa victime.
À plusieurs reprises, le éboucher d’Hitler" prouve qu’il tue pour le plaisir mais il n’est pas pour autant montré de manière caricaturale.
En effet, on découvre qu’il désire en secret sa servante juive et on le voit essayer de pardonner aux autres (avant que le goût du meurtre ne reprenne rapidement le dessus) après que Schindler lui ait dit que le véritable pouvoir est celui de pardonner.
De même, Spielberg montre que tous les soldats ne sont pas entièrement mauvais.
Ainsi, un petit garçon nazi cache une femme juive quand il se rend compte qu’elle est la mère d’une de ses camarades de classe et quand, à la fin de la guerre, Oskar Schindler dit à des soldats allemands qu’ils ont le choix entre massacrer ses ouvriers ou rentrer chez eux comme des hommes et non comme des assassins, ceux-ci choisissent de repartir sans violence.
D’un point de vue narratif, Spielberg ose ne pas constamment se concentrer sur son personnage principal. Ainsi, pendant les deux premières heures, Oskar Schindler ressemble à une espèce de fil rouge puisque le cinéaste se concentre essentiellement sur ce qui se passe dans le ghetto de Cracovie. Pour ce qui est du traitement visuel, Spielberg est assez sobre (choix du noir et blanc, présence de textes explicatifs) et choisit de filmer les scènes de violences en caméra portée pour en renforcer le réalisme (technique qu’il portera à son paroxysme sur Il faut sauver le soldat Ryan).
Le seul effet de mise en scène qu’il se permet est la présence sporadique d’éléments colorés ayant une signification symbolique (le manteau rouge de la petite fille qui souligne la prise de conscience de Schindler, les flammes de bougies).
Les interprètes sont tous extraordinaires (Liam Neeson, le fabuleux Ben Kingsley, Ralph Fiennes). La bande originale de John Williams est juste sublime (c’est d’ailleurs une de ses compositions les plus célèbres) et est associé à des musiques additionnelles très bien choisies
(on y retrouve notamment, dans la séquence de présentation d’Oskar Schindler, le Por una Cabeza de Carlos Gardel qui sera réutilisé dans un registre totalement opposé l’année suivante par James Cameron dans True Lies)
.
Film qui a longtemps hanté le réalisateur d’origine juive qu’est Steven Spielberg au point d’avoir peur de ne pas être à la hauteur du sujet (il avait proposé à Roman Polanski puis à Martin Scorsese de le mettre en scène), La Liste de Schindler est une œuvre grave et magnifique qu’il ne faut pas prendre comme une œuvre ultime sur la Shoah mais comme une pierre essentielle du devoir de mémoire sur la Seconde Guerre mondiale qui a marqué profondément son réalisateur (au point que, pour l’unique fois de sa carrière, il ne tourna plus pendant 4 ans).