Ce film a fait l’objet de plusieurs critiques virulentes pour des questions morales. La première concerne la fameuse scène de la douche, qualifiée d’obscène ou d’intolérable. Cette scène, qui fait suite à l’évocation incrédule par les femmes déportées de l’extermination en chambre à gaz, est en effet de trop : elle n’a aucune fonction narrative dans l’histoire des personnages mis en scène, et n’apporte aucune information (peut-être même au contraire) sur le processus général de l’holocauste. L’autre critique, plus générale, consiste à reprocher à Spielberg d’avoir conçu comme un « spectacle » l’histoire de la Shoah, et à dire que cette dernière ne peut, vu sa dimension, autoriser la narration d’une destinée individuelle. Ce reproche est autrement plus contestable. Même si d’autres de ses films comportent des dimensions personnelles importantes, Spielberg n’a jamais été aussi éloigné de son surnom de « roi du divertissement ». Il en est à l’opposé. Par son format (3 h 15), le choix du noir et blanc, l’absence de grande star, on voit que le projet du film n’a pas obéi prioritairement à une logique commerciale. Par ailleurs il n’est pas incompatible de raconter à la fois l’Histoire, même son épisode le plus abominable, et celle d’un personnage de l’époque, évidemment réel. S’il s’agit d’une concession au genre narratif, elle a permis de montrer à des millions de spectateurs qui ne seraient pas allé voir un « documentaire », l’horreur absolue et l’abjection du processus nazi d’élimination du peuple juif. L’histoire personnelle de Oskar Schindler est en elle-même intéressante. La prise de conscience progressive par cette personnalité paradoxale et sa transformation (il s’agit au départ d’un arriviste sans scrupules, archétype du capitalisme le plus vil : l’objectif est de faire de l’argent, en profitant de façon éhontée d’un contexte historique douloureux, en utilisant si besoin la corruption, et en recherchant la main d’œuvre la moins chère) se traduiront en actes, dans lesquels il sacrifie et par conséquent relativise ce qui fût son objectif suprême. Sa dimension morale est indéniable. Mais bien au-delà, resteront gravés dans les esprits les humiliations et les indicibles souffrances du peuple juif, son regroupement dans les villes, puis dans les ghettos, la liquidation de ceux-ci, et l’abomination absolue des camps ou devait s’exécuter la solution finale. En cela le film participe au devoir de mémoire.