Cube est tout de même un film sacrément vendu de partout; s'il a eu sa période de reconnaissance au sortir des années 90, il semblerait que les années 2000 n'est pas ternie sa réputation, au contraire de nombreux films d'horreur indépendants qui n'auront duré qu'une saison cinématographique. Affaibli de ses deux suites minables, repris par bien des pitchs qui se croyaient originaux par le simple principe repompé de leur idée prétendument neuve (oui, je pense à toi), le premier Cube n'aura pas volé son statut de référence du cinéma d'horreur moderne.
Il semblerait paradoxalement qu'il tienne moins sa réputation de son horreur que de l'intelligence de son script; maltraité par ses acteurs tous plus mauvais les uns que les autres, il avance cependant une intrigue fantastique, passionnante et bien menée,qui va jusqu'à plonger le spectateur dans un état d'angoisse constant, presque mieux amené par les théories mathématiques que par ses scènes de mort ultraviolentes (avec toujours une réserve de bon goût, et loin des écarts écoeurants d'un Cube 3 sans aucune inspiration).
Loin du survival/horror classique, il est plus intelligent que la moyenne des séries b du genre : pourquoi tout miser sur la violence et la tension quand on peut développer au maximum l'intelligence mathématique pour perdre simultanément le spectateur et ses personnages? Le réalisateur l'aura bien compris : outre certains effets clipesques qui gênent un nombre heureusement restreint de scènes (principalement au niveau du montage), Vincenzo Natali, poulain de Guillermo Del Toro, gèrera ses ellipses sur fond de réflexion avec une grande maîtrise, perpétuant la longévité du temps qui s'écoule, des effets psychologiques de l'enfermement sur les personnages, et de la destruction de leur physiologie par la soif et la faim.
Résolument claustrophobe, Cube gâche cependant sa gigantesque énigme par ses défauts pratiquement amateurs : si l'on notera quelques jolis images de mise en scène (et la réussite évoquée plus haut), la réalisation trop typée fin 90 bloquera l'oeuvre dans son temps, brisant quelque peu son effet horrifique à mesure que l'angoisse monte et qu'il se remplit de gimmicks de réalisation propres aux séries b de l'époque.
Ses acteurs viennent retourner le couteau dans la plaie : tous plus ou moins mauvais, ils actent de surjeu comme d'inexpressivité, la palme revenant à Maurice Dean Wint dans le rôle d'un homme de bien devenu aliéné meurtrier, et qui s'érigera en rempart de liberté face au trio principal, avant de nous laisser dans une incohérence finale monumentale respectant le cliché du double tap, de ces films d'action ou d'horreur qui ne peuvent laisser leur antagoniste mourir simplement, et qui font fit de toute logique pour laisser une trace d'ultraviolence répétée dans l'esprit d'un spectateur souvent lassé de toujours voir les mêmes fins à rallonge.
Si Alien aura imposé ce plaisir devenu défaut rédhibitoire, Cube n'aura pas lésiné sur l'action dans sa conclusion, qui semble lui servir aussi de justification pour que tout se finisse forcément mal, film d'horreur post années 70 oblige. Ce drame final aura au moins le mérite de nous laisser sur une dernière note satisfaisante, entre lumière éblouissante et symbolisme affiché, métaphore finale d'une critique sociale intéressante qui pourra trouver autant de significations qu'il y aura, finalement, de spectateurs.
Cube, contrairement à la plupart de ses grands ou petits frères, ne pose pas de réflexion précise régie par un cadre ou un engagement envers un milieu social, politique ou culturel particulier : son pitch n'est qu'un prétexte pour laisser au visionneur l'interprétation de ce que représente ces humains coincés dans le cube, outil indéterminé d'une importance métaphorique cruciale. Que la normalité devienne anormalité suivra bien l'idée qu'on pourra s'en faire : Cube, en inversant les valeurs et les rôles, en prenant un homme handicapé comme élément pivot de l'intrigue, reste certes dans un certain anticonformisme classique, mais permet d'agrémenter la liberté de sa réflexion par les idées personnelles que feront naître ses images à fort impact.
Pour le féru de mathématiques, il lui permettra de réfléchir sur une énigme d'une heure trente, et de sourire quand il se rendra compte de la solidité de réflexion de son scénario; au littéraire de s'amuser à relever les références psychologiques et philosophiques, quand même balancées avec moins de finesse que ses énigmes mathématiques, démonstration à peine cachée de l'intelligence mathématique de son réalisateur/scénariste.
Le résultat demeurera cependant le même : dans ce Cube, les spectateurs seront divisés par des idées représentatives différentes, à l'image de ces personnages théorisant sur son origine, de la prison militaire à un enlèvement extra-terrestre, sans jamais trouver d'accord. Au fond blanc final de laisser une ultime touche d'interprétation, que l'on pourra autant qualifier de vide de la vie que de paradis possiblement atteignable après s'être détaché du Cube, soit de l'intolérance, de l'égoïsme et du vice présents dans cette drôle de structure.
Intéressant, visuellement superficiel mais profondément écrit.