Hana-Bi : "feu d'artifice" en japonais. Spectacle pyrotechnique, fait de pièces lumineuses explosant en plein air. Souvent utilisées pour célébrer des événements importants.
L'amour est un événement important. Ne serait-ce qu'un bref moment à jouer aux cartes, à se promener sur les bords de mer, rire sur des choses simples, tous les feux d'artifice du monde ne sauraient imager ce plaisir simple mais immense qu'est d'aimer et être aimé. Le feu d'artifice n'est que la flamme aux lueurs infinies qui brille de tous les éclats entre 2 êtres sur le déclin. Hana-Bi, c'est la mort, c'est l'amour, c'est la violence qui symbolise le long combat pour profiter de ce qui nous est le plus cher. Hana-Bi, c'est une capsule temporelle dans laquelle on partage les moments d'un couple en proie aux démons du passé, à la cruauté du monde et à l'imminence de la mort, inéluctable, qui guette en permanence les vies de Nishi et de Miyuki qui ne semblent faire qu'une.
Hana-Bi, c'est l'aboutissement absolu de la carrière de Takeshi Kitano, qui ne s'est pas arrêté en si bon chemin mais dont les lueurs crépusculaires sont ici les plus scintillantes. C'est une réitération des thématiques chères au cinéaste : de nouveau les yakuzas sont prétextes à aborder l'ambiguité de notre humanité comme dans Sonatine, et surtout la mort, ici plus présente que jamais dans l'œuvre du maître nippon fasciné par cette dernière et qui y aura porté un regard différent au travers de sa filmographie. Dans Hana-Bi, plutôt que d'essayer de fuir toute confrontation avec elle, il l'accepte et l'embrasse avec lucidité, telle en est sa fatalité.
Si on peut lui reconnaître les qualités habituelles au cinéma de Kitano, Hana-Bi a une magie en plus qui l'élève au-dessus des autres créations du cinéaste. Il se dégage un mutisme dans la romance qui se passe de mots pour amorcer des enjeux émotionnels incroyablement puissants, mais aussi dans une beauté formaliste à couper le souffle. Je prends en témoin le personnage d'Horibe, devenu paraplégique et en recherche d'un sens nouveau à sa vie à travers la peinture dont il y trouvera le déclic dans une scène bouleversante chez une fleuriste où son seul regard communique une émotion qu'on en pleurerait que pour ça : Kitano capte des expressions infîmes et si immenses dans le visage de ses personnages à travers un rythme lent qui sublime chaque plan du film.
Je pense qu'il s'agit de la meilleure utilisation de la lenteur que j'ai pu voir dans un film. L'ambiance sèche et froide se fait ressentir par de longues scènes sans dialogues ni musique et quand ces deux choses se manifestent elles ne sont que trop puissantes pour les encaisser et en revenir indemne tant le film remue dans tous les sens. Quelque part entre la grande violence, la sobriété, la poésie et l'amusement, nos sens et nos émotions sont constamment invoqués par la puissance du récit, à travers un échange de regard qui en dit long, de la violence graphique qui reste en tête ou un pur instant de poésie portée par la musique absolument magnifique de Joe Hisaishi, le mélange des tons tient à une quantité infîme de choses et arrive à toucher juste, en plein cœur. Un véritable jeu d'équilibriste pour une magie envoûtante de bout en bout. L'expérience a beau être assez courte, sa portée se fait ressentir des jours durants.
Hana-Bi fait parti de ces œuvres tellement uniques, tellement riches et tellement abouties qu'il est compliqué d'y placer des mots. Personnellement j'ai mis une bonne demi-heure avant de prononcer le moindre mot après un tel choc. J'ai déjà été touché par la grâce face à des films de Takeshi Kitano, il tient là une toile de maître. Un chef-d'œuvre au sens littéral, esthétique et poétique, crépusculaire et d'une tristesse infinie, Hana-Bi est une pépite comme il n'y en a pas deux pareilles. Une claque monumentale que l'on ne voit pas venir dont l'émotion n'a de cesse de nous suivre pendant et après. Un immense film.