"La folie des grandeurs" est un film qui porte bien son nom. Assurément, Gérard Oury a eu un coup de folie et, pour ce faire, a vu les choses en grand : la folie des costumes, la folie des décors, la folie d’un rythme effréné, et la folie de créer un nouveau duo composé d’un Louis de Funès peut-être encore plus survolté que jamais et un Yves Montand qui a la lourde tâche de remplacer Bourvil. tout cela pour répondre à la folie d’adapter d’une façon très libre une pièce de théâtre de Victor Hugo ("Ruy Blas"). Eh oui, chers abonnés et chers lecteurs : j’ouvre une petite parenthèse parce que vous ne le saviez peut-être pas, mais Gérard Oury avait l’intention de réunir une fois de plus Louis de Funès et Bourvil. En effet, le rôle de Blaze avait été conçu pour ce dernier. Rendez-vous a été pris courant 1971 pour le tournage. Malheureusement, la maladie rongeant Bourvil en décida autrement pour l’emporter au firmament des plus grands souvenirs des spectateurs de toute une génération par un triste 23 septembre 1970, ce qui obligea le cinéaste à remanier le rôle pour Yves Montand. C’est vrai qu’on a du mal à imaginer Bourvil dans le rôle de Blaze tel qu’on le connait… Quatrième plus gros succès de l’année, "La folie des grandeurs" est devenu très rapidement un grand classique du cinéma français. Pourtant, avouons que c’est du grand n’importe quoi ! Bien sûr que c’est du grand n’importe quoi, soyons honnêtes ! Mais ça a beau d’être du grand n’importe quoi, bizarrement ça marche. Et si ça marche, c’est parce que ce film se caractérise par une certaine similitude avec les œuvres théâtrales. Vous êtes surpris ? Il n’y a qu’à regarder le rythme, les quiproquos, le ridicule des situations exploité à fond, bref un sac taille XXL d’imbroglios qui nous amène à des situations qu’on n’aurait pu jamais imaginer avec en prime des traits grossis au possible. En somme, tout ce qui a fait la drôlerie et donc le succès des pièces de théâtre dans les années 70 et 80. Si le grand n’importe quoi fonctionne, on le doit aussi à la paire Montand/De Funès. Pour moi, il y avait là aussi un duo à exploiter. Et puis il y a le savoir-faire de Gérard Oury. Résultat, nous avons des répliques cultes, du genre « les pauvres c’est fait pour être très pauvres et les riches très riches ! », et d’autres qui ont pris un sens plus particulier du genre « je suis Ministre : je ne sais rien faire… ». Tiens donc ! No comment hein lol ! D’autres répliques cultes sont bien sûr au menu, incluses dans des scènes toutes aussi cultes les unes que les autres. Le réveil à coups de pièces d’or, peut-être la scène la plus connue du film. Mais il y a d’autres moments savoureux, comme le bain ponctué par deux répliques géniales (surtout celle de Blaze, relative à la capillarité de son maître). Mais pour moi les moments que je préfère sont les roucoulades de Blaze à travers une haie, ou l’effeuillage sexy (enfin quand je dis « sexy »… nous nous sommes compris hein !). Donc oui du grand n’importe quoi. Mais de l’excellent n’importe quoi. Qu’il semble loin ce temps où le cinéma français osait oser. Qu’il semble loin où le cinéma français savait exploiter les gueules et non pas la beauté physique. Regardez Paul Préboist : ce n’était pas une merveille de la nature, mais il avait une gueule. Certes ça l’a plus ou moins enfermé dans un genre de rôle, mais au moins il le faisait bien, même sans dialogues ! Et que dire d’Alice Sapritch ? Celle qui deviendra l’égérie de JexFour n’avait pas peur du ridicule ! Non seulement elle savait qu’elle n’était pas une beauté mais en plus elle en jouait d’autant que, au risque de me répéter, elle n’avait pas peur du ridicule. Mieux : elle l'exploitait. Et pour cause : on dit bien que le ridicule ne tue pas… S’il y en a un qui n’a pas non plus peur du ridicule, c’est bien Louis de Funès. Mais à le voir évoluer de la sorte, c’est à se demander comment il n’a pas succombé à une crise cardiaque plus tôt. Quant à Yves Montand, il donne parfaitement la réplique à Louis de Funès, si bien qu’on l’imagine irremplaçable dans ce rôle. Alors quand en plus, la musique de Polnareff est là pour booster encore un peu plus le rythme, comme pour signifier qu’il n’avait pas le droit de faiblir pour ne laisser aucun temps mort au spectateur, que dire de plus si ce n’est qu’elle rend plus épique encore cette histoire de sous et de fierté. En plus, la partition aurait pu tout aussi bien servir à un western : normal, le compositeur s’est beaucoup inspiré des compositions de Morricone. Pour finir, on a beau avoir vu, revu et rerevu ce film, il se regarde toujours avec autant de plaisir. Mais ce qui m’effare le plus, c’est qu’il passe toujours à une vitesse hallucinante. Malgré ses 153 minutes, je suis toujours surpris de voir le générique de fin arriver si vite. Faut dire que tout est parfait, mis à part peut-être le chapeau qui se met à la mode napoléonienne (pour moi le seul gag qui tombe à plat). Un inusable divertissement.