Oury, le champion du film comique alliant burlesque et dialogues finement ciselés et sur mesure pour des comédiens qu’il connait à merveille, fait toujours recette auprès de la jeune génération. La mort de Bourvil, pressenti pour reformer le duo magique des films précédents avec De Funes, change les plans du réalisateur et de sa dialoguiste de fille. Avec l’arrivée de Montant, il faut réécrire le rôle ; et en fait, le malheur du décès de Bourvil se transforme en vent de fraicheur. Montant évite un 3ème film qui aurait pu avoir un goût de déjà-vu.
Ophélie Weil écrit à propos de ce film : « Y avait-il des critiques sérieux pour défendre La Folie des grandeurs lors de sa sortie en 1971? Voyait-on dans cette comédie glorifiant l’humoriste numéro 1 en France, Louis de Funès, le symbole de la mort du cinéma, comme les critiques se lamentent aujourd’hui devant le cinéma français dit «populaire»? Gérard Oury n’a jamais eu très bonne presse, en son temps et après sa mort, à raison sans doute. Et pourtant rares sont les cinéastes qui surent comme lui ériger son œuvre au rang de mythe, dépassant l’effet de génération: de 7 à 77 ans, tout le monde aimait, aime et aimera La Grande Vadrouille, Les Aventures de Rabbi Jacob ou La Folie des grandeurs. Petite leçon de savoir-faire à destination des Thomas Langmann et consorts par le «cinéma de papa».
Envolées de violons et grattements d’une guitare ennio-morriconesque: la musique du générique de La Folie des grandeurs, composition géniale de Michel Polnareff, donne le ton à la parodie : alors que le western spaghetti fait des siennes de l’autre côté des Alpes et même outre-Atlantique et engendre déjà nombre de copies, Gérard Oury se fend, lui, de son western choucroute. Le décor choisi, une Espagne de l’âge de pacotille – où l’on parle français, espagnol, allemand au choix – permet de donner à plein dans la comédie d’aventures, qui connaît alors de riches heures en France (on pense notamment aux films de De Broca ou de Rappeneau). Il y a des vilains très vilains, des gentils amoureux très gentils, des précieuses ridicules et même des justiciers basanés aux airs de Zorro.
L’Espagne de Gérard Oury ressemble à un tableau de Goya revu et corrigé par Andy Warhol. Les clichés détournés s’accumulent − les montagnes d’or de ce pays supposément richissime, les terrifiantes robes des dames de la Cour impossibles à manœuvrer dans l’encadrement d’une porte, les Grands du royaume − véritablement grands − portant des collerettes à empêcher de tourner la tête, les sérénades au balcon, le flamenco, les corridas: rien ne manque à l’appel… C’est l’Espagne d’Épinal, enrichie de foisonnantes références à la littérature française : Alexandre Dumas, évidemment (grâce au très clairvoyant «un pour tous, chacun pour soi»), mais surtout Victor Hugo, remercié au générique, quoique «toute ressemblance avec les personnages d’un célèbre drame ne serait que fâcheuse coïncidence». La Folie des grandeurs, bien sûr, c’est Ruy Blas version comique, l’histoire d’un «ver de terre amoureux d’une étoile», d’un valet qui convoite sa reine, aidé en cela par les machinations d’un noble machiavélique. Qu’il était bon le temps où le terme «populaire» n’avait pas encore été détaché de la littérature classique !
La première grandeur de cette folie réside dans des dialogues d’une incommensurable saveur, époque bénie où Danièle Thompson, fille de son père Oury, n’avait pas encore des velléités de réalisatrice. Nombre de répliques, en sus de leur drôlerie, convoient un véritable message: dans Les Aventures de Rabbi Jacob, la famille Oury décapitait l’antisémitisme à coups de dialogues bien sentis ; dans La Folie des grandeurs, c’est au tour des riches oisifs de payer leur tribut. Dans l’un comme l’autre film, de Funès endosse avec un plaisir masochiste le costume du pur salaud : il faut le voir dire, avec l’aplomb de celui qui entend avoir raison, que «les pauvres, c’est fait pour être très pauvres, et les riches, très riches» ! Voici bien la vraie trouvaille des films d’Oury : faire du méchant le véritable héros, celui qu’on aime détester, en utilisant le génie comique de de Funès, pile hystérique en roue libre aux inventions de jeu extraordinaires : onomatopées incompréhensibles, diction théâtrale (le célébrissime «Elle ment en allemand» ou le «Das ist eine kolossale Konspirazione»), visage de fouine et pas de conspirateur. Il fallait bien un monsieur Louis pour parvenir au sommet de la gloire avec un physique aussi peu avantageux et des personnages profondément détestables. Le principe du duo mal assorti manipulateur/manipulé – que Francis Veber est bien loin d’avoir inventé – fonctionne d’autant mieux ici qu’il n’est pas une pâle copie du célèbre couple de Funès/Bourvil : avec son charme latino, Yves Montand apporte à son personnage la crédibilité du héros vengeur, celui qui se défoulera en lieu et place du spectateur sur le vilain de l’histoire.
On doit la seconde grandeur de cette folie, et pas des moindres, à l’intelligence cinématographique de Gérard Oury (si, si). Le film ne peut en aucun cas, comme nombre de comédies contemporaines type Bienvenue chez les Ch’tis, être résumé à un concentré de bons sketchs. Le comique ne réside pas seulement dans la saveur des répliques ou la maestria des interprètes. Le décor comme l’espace et les «effets spéciaux» sont toujours utilisés à bon escient au sein d’une rythmique infernale : voir ainsi la transformation du chapeau imbibé d’eau de Don Salluste en couvre-chef napoléonien (la symbolique n’est pas innocente), ou la séquence très réussie du «balai» qui permet au valet de jouer de son patron comme d’une marionnette par plafond interposé. Certes, La Folie des grandeurs n’a pas vieilli d’une ride, et le strip-tease d’Alice Sapritch séduira encore les générations à venir. Mais en presque quarante ans, le film a fait plus encore, en gagnant ses lettres de noblesse auprès des cinéphiles : un pari que Gérard Oury n’aurait sans doute jamais osé relever. »
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