Film quasi fondateur du célèbre genre dit "giallo" (avec "La Fille qui en savait trop" de Mario Bava, en 1963, soit 6-7 ans avant le film qui nous intéresse), L'Oiseau au Plumage de Cristal, titre énigmatique et poétiquement inspirateur s'il en est, pose immédiatement les bases de la longue carrière du maître Argento - à savoir : un tueur mystérieux, vu de dos ou par parties du corps (généralement les mains, ici celles du réaliseateur lui-même), qui nous donne, à un moment ou à un autre, une caméra subjective ; des meurtres violents, à l'arme blanche, crus et sadiques ; de jolies filles (et, du coup, victimes) inoffensives livrées à l'assassin...
Avant d'entremêler policier et fantastique (comme dans Les Frissons de l'Angoisse ou, plus encore, dans Suspiria), le réalisateur transalpin demeurait au début de sa carière dans une logique réaliste. Qu'il s'agisse, comme ici, de l'acuité du regard, qui permet d'analyser/disséquer la vision, ou bien des techniques scientifiques criminelles, comme dans Le Chat à 9 Queues, Argento pose le spectateur au même niveau que le personnage-enquêteur du film. L'intrigue a donc forcément un certain minimalisme quant aux procédés de l'enquête: certes l'on a, dans ce film, la présence de la police (et de techniques d'analyses qui leur sont propres), mais le vrai "héros", c'est l'écrivain Sam, qui s'improvise détective.
Rondement mené (quoique pouvant laisser apparaître des zones d'ombres, notamment sur la présence de mystérieux tueurs à gages, mais bon), l'intrigue est appuyé par une mise en scène sobre mais très appliquée. Dans les bonus, Argento nous informe que, contrairement aux réalisateurs italiens de l'époque, il avait effectué un story-board précis auquel il a collé. Aussi n'est-ce pas surprenant de voir déjà, dans cette première réalisation, tout un travail de l'image, du cadre, alternant des travellings "soyeux" et fluides, avec des compositions du cadre quasi picturales, où les couleurs se répondent, donnent une vie propre à chaque décor parcouru.
Et le travail de l'image ne se limite pas au cadre et aux mouvements de caméra, mais s'applique également au montage. Il n'est pas étonnant qu'on puisse rapprocher cette première œuvre des films de De Palma : les images sont interrogées, décortiquées, revisitées, jusqu'à un final bluffant. Un assemblage des images particulièrement intéressant donc, avec des effets de flashbacks multiples (voire répétitifs, mais jamais gratuits), avec zooms/dézooms sporadiques.
Certes je pourrais dire qu'il y a certaines longueurs, certaines scènes quelque peu bancales, aux idées clichées (l'antiquaire homosexuel ou l'artiste fou) ou niaises (notamment les scènes d'amour et de sentimentalisme entre Sam et sa petite amie), mais le tout est bien vite rattrapé par la solidité du scénario et l'élégance de la mise en scène. Un premier film dont on comprend aisément le succès, surtout aux États-Unis (Hitchcock lui-même semblerait en avoir été touché, comme l'indique la bande-annonce d'époque), et qui donne déjà tous les rudiments des futurs slashers (avec caméra quasi voire carrément subjective, victimes vulnérables et crimes ensanglantés à l'arme blanche).