Une pépite que ce film de Ozu, assez différent de ses productions habituelles. On l’a souvent appelé le « diamant noir » du maître, et c’est vrai qu’il y a un côté crépusculaire dans le déroulement du scénario, qui est construit d’une manière diabolique, comme un puzzle, ou plutôt comme un labyrinthe, d’où l’on ne peut pas s’échapper, sans fin, sans sortie, où des événements surprenants, s’enchaînent, tout au long du déroulement. On commence d’un incident anodin, de la dispute d’un couple, et d’une jeune femme qui vient se réfugier chez son père, pour arriver à la refonte complète du modèle familial japonais. Et pourtant il ne s’agit que de la description de la vie d’un famille ordinaire japonaise, moderne et en cours d’occidentalisation. Mais on a la sensation d’être dans un polar stressant, voir dans une tragédie Shakespearienne. La « violence » psychologique est parfois insoutenable, et la distanciation de la technique de Ozu, nous glace encore un peu plus . Des plans fixes dramatiques mais sans pathos, comme l’avant- dernier plan, dans le train qui va emmener la mère au loin ,définitivement, la vitre pleine de buée, la femme en peine , en tristesse , c’est énorme. Et puis il y a le fonds , cette modernité incroyable, sur des thèmes intemporels : le célibat , l’avortement (traité avec une extrême délicatesse ), la dérive de la jeunesse , la paternité, avec ce père ( toujours admirable Chishu Ryu ) dépassé par la modernité de ces deux filles , et surtout la recherche d’identité, pour la plus jeune des filles, le besoin de piliers, de parents ,de racines , de la fameuse « colonne vertébrale » dont on parle aujourd’hui, tout le débat actuel qu’ il y a avec la GPA, l’adoption , Ozu visionnaire posait déjà toutes ces questions, tout en subtilité, sans aucun manichéisme. Certainement le film le plus profond de Ozu, le plus dense, mais aussi le plus « violent », le plus pessimiste d’une certaine manière, même si la fille aînée conclut sur une note positive au final ,et veut se donner une « deuxième chance », pour nous laisser peut-être une lueur d’espoir , dans ce monde sans pitié, dans ce long voyage au bout de la nuit . Une master piece.