Al Pacino, alors déjà une légende pour avoir incarné Michael Corleone dans la saga mafieuse de Francis Ford Coppola, rajoute une corde à son arc en interprétant pour Brian De Palma celui qui deviendra un mythe, Tony Montana. Le parallèle entre les deux rôles est accessoirement un bon sujet de dissertation tant les deux personnages sont similaires tout en étant l’antithèse chacun l’un de l’autre. Oui, alors que Coppola faisant preuve d’application en vue que son personnage soit mesuré, sans pitié mais d’une intelligence au-dessus du lot, De Palma, lui, travail à la construction d’un monstre, d’une bête de foire, n’ayant réussi qu’au culot, qu’aux tripes. Les destins des deux personnages sont parfois similaires, mais celui de Tony Montana n’évolue pas dans une réalité mesurée par un cinéaste mais dans un univers de fantasme qui ne reflète qu’en partie le monde du trafic de drogue sud-américain. Oui, malgré les apparences, Scarface s’avère être très loin d’un documentaire, Oliver Stone n’ayant pas écrit dans ce sens.
L’on part d’abord d’une solide base historique, le renvoi d’immigré au lourd casier judiciaire par Castro vers les Etats-Unis. De là va naître le destin faste et caricatural du brave Tony, un personnage obstiné, doté d’une soif sans fin de pouvoir, de femmes et d’argent. Pour cela, Tony s’oriente vers la drogue, montant petit à petit son entreprise, piétinant ses pères pour monter, avec un baron de la cocaïne bolivienne, une affaire juteuse, le faisant basculer hors des limites de sa raison. De Palma n’y va pas avec le dos de la cuillère, servant sans doute sur un plateau, le film le plus violent de sa génération. Oui, l’entrée dans l’univers du trafic à Miami verra confronté Tony à une violence animale, une violence et une animalité qu’il adoptera lui aussi pour devenir le roi, le roi d’une pègre milliardaire, contrôlant la police mais marchant sur le fil du rasoir dans les relations entre voyous.
De Palma et Stone construisent la bête de foire qu’est Tony Montana en se servant du charisme du grand Al Pacino, la gueule amochée, l’accent indélicat et l’esprit malsain. Le mauvais garçon, qui évolue théâtralement à une vitesse fulgurante, finis par perdre son humanité, le peu qu’il en avait, dans la luxure, l’abondance et le vice. Oui, Scarface n’est pas à proprement parler le reflet fidèle d’une ascension criminelle, simplement la vitrine d’une folie des grandeurs meurtrière qui finira comme elle devait finir, dans un éclat de violence, un massacre mis en scène avec une seule idéologie, la chute ultraviolente du roi des trafiquants, tombant sous les balles de plus fort que lui, de fantômes sud-américains venus remettre de l’ordre dans le cartel. Tony Montana est une monstre auquel l’on ne peut s’attacher, mais sa rudesse, son charisme en font dès lors un personnage culte, un monstre sacré.
Malgré son âge avancé, Scarface est pourtant toujours l’idole des jeunes révoltés, n’ayant sans doute compris qu’une chose, le crime paie. Plus théâtrale que réaliste, Scarface n’est pourtant qu’un reflet décalé de destin, de l’emprise sociétale d’un des plus grands criminels de tous les temps, Al Capone. Que jeunesse défavorisée, immigrée, voit en Tony Montana un icône, certes, mais dans le fond, rien à y voir, son personnage n’étant qu’une marionnette de cinéaste permettant à ce dernier de bâtir un film sans limites, démontrant de manière fantasmée que, oui, le crime paie, mais aussi que le crime fait perdre toute notion d’humanité, que le crime détruit aussi vite qu’il enrichit, qu’il tue, par-dessus tout. Brian De Palma signe donc une œuvre majeure, une œuvre cultissime vouée à la postérité, un film qui repousse les talents d’Al Pacino pour faire de lui un dieu vivant du cinéma de mauvaise conscience, et merde, l’on aime ça. 18/20