C'est tellement débectant de voir des abrutis dénigrer un film mythique parce qu'il est encré dans la culture gangsta et hip hop. Le pouvoir de fascination dont peut ce targuer ce bijou clinquant de violence est tellement imposant sur ma personne, que le décrire s'avère être une tache assez complexe. Évoquer Scarface, c'est souligner cette déchéance au ton Shakespearien ; c'est penser à la chute d'un immigré qui finit par combler ses désirs par le vice et le crime ; c'est cette mise en exergue, symbolique à souhait, du rêve Américain, et les illusions qu'il impose, son caractère attractif, l'allégorie de son influence négative.
Avant cela, Scarface est un authentique film culte et un chef-d’œuvre absolu du cinéma de Gangster. Une fresque brutale et virulente aux accents dramatiques extrêmes, bénéficiant d'une virtuosité de mise en scène assez exceptionnelle, De Palma cadrant des images au mysticisme certain. Cette ange du crime déchu, littéralement habité par l'acteur campant autrefois Don Michael Corleone, est un des plus emblématiques "tarés" de l'histoire du 7ème art ; animé par une rage, une folie meurtrière, une vulgarité et une jalousie incestueuse inoubliable. Et pourtant, malgré toute ces abjections, le paradoxe est que l'on aime ce gars. L'aura du gangster, l'emprise du criminel : Tony Montana en est la représentation la plus mémorable.
Ici ne règne pas la politesse et la retenue prévalant dans Le Parrain de Coppola. On nous montre clairement l’abomination des crimes mafieux, les tortures infligées ; on aborde par là la fameuse scène de la douche, tout en suggestion, où un malheureux proche de Tony est violenté par le biais d'une tronçonneuse. De Palma expose la pègre qui domine en Floride, dans tout ce quelle a d'impétueux, dans ses véhémences, et avec son roi irascible, au sommet du business de l'or blanc.
Une fin d'une violence orgiaque, conclusion en forme d'opéra dans des décors baroques et démesurés ; un carnage inégalé rouge et or, où Pacino, du haut de son balcon, crache répliques épiques, haine, sang et poudre blanche. La force de cette fusillade réside dans la façon dont elle est mise sur pellicule : ses travellings latérales, son filmage prodigieux, hommage certain à Peckinpah.
Tout baigne dans l’excès, des sujets traités, à la violence véhiculée au cours du film. Mais cette outrance verbale et filmique est au final tellement jouissif ; on pense à cette verve homérique de Tony Montana, qui domine dans une scène d'introduction magistrale : Plan séquence circulaire, la caméra flottant lentement autour d'un Pacino au charisme frappant. La magnificence de l’interprétation est tellement indubitable que la nier en devient risible.
Le scénario est brillamment mené par Oliver Stone ; il relate l'arrivisme, l'apogée puis l'effroyable décadence d'une "petite frappe" cubaine, devenu une légende névropathe du gangstérisme, et par extension du cinéma. Un visuelle d'une rare beauté esthétique, à la fois spectaculaire et furieux.
De surcroît, les dialogues sont puissamment cultes et indétrônables ... l'impérissable "say hello to my little friend" restera forgé dans mon imaginaire de cinéphile jusqu'à mon inactivité en tant que personne humaine.
- "J’ai des mains faites pour l’or et elles sont dans la merde !"
- "Je dis toujours la vérité, même quand je mens c’est vrai."
- "Veille fiotte de mes deux couilles ! Tu crois que tu vas me baiser !? Faudrait toute une armée pour m’enculer !"
- "Moi je n’ai confiance qu’en mon manche et ma parole... l’une est de fer et l’autre d’acier !"
Tant de répliques célèbres, tout en désinvoltures, qui n'en sont pas moins intenses, choquantes et marquantes. Les prémices de la punchline hip hop ...
Enfin, Giorgio Moroder apporte quant à lui son génie grâce à une bande originale d'une excellence indéniable ; on noteras le thème principal s'accouplant merveilleusement à cette scène ou Tony, cigarette et bras en écharpe, contemple un Zeppelin dont la façade muni d'un écran prône le message "The World is yours". Phrase gimmick de l’œuvre, résumant l'état d’esprit, l'ambition de son anti-héros. Cette scène, tout comme celle qui la précédent (meurtre de son patron), est d'une beauté divine.
Dans le pire des cas, ce film est un Grand film. Son influence majeure dans le cinéma du crime et d’action hollywoodien n'étant plus à démentir.